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Le Nouvelliste

Covid-19 : au péril de l'humain

April 17, 2020, midnight

Le coronavirus a bon dos. Il favorise l’impéritie des décideurs, nourrit l’ensauvagement des masses, réactive l’instinct primaire des civilisations, dénude les illusions politiques, installe les incertitudes. Le politique se volatilise au grand dam de ceux et de celles qui en sont toujours les victimes. Une autre mondialisation s’instaure « aux dépens » de l’ancienne dont l’envers des vertus salutaires a été exposé au grand jour pour le plus grand malheur de tous. L’oxygène capturé par les mains invisibles, vendu allègrement par les marchands de rêves, est repris par un virus friand de l’amoncellement continu de nouvelles hécatombes. Loin de se plier aux certitudes, le Covid-19 désarçonne, démantèle, cisèle. Au rythme des jours qui défilent, le destin macabre de chacun(e) s’éclaircit. L’humaine condition devient la chose du monde la mieux partagée. Celle de l’impuissance, de la solitude, de la survie, de la finitude. Les attractions de naguère deviennent les cauchemars d’aujourd’hui. New York, Paris, Londres, Rome, Madrid vivent chacun son épisode de Destination Finale. La candeur des protagonistes n’arrange nullement la situation. Leur sort est, semble-t-il, déjà scellé. Et ce n’est pas un tweet rageur de Donald Trump qui va tout renverser. Avant le coronavirus, le différent, le lointain, le souterrain concernaient le virtuel. Le réel consistait en l’entretien des mirages de la musique, du sport, de la gouvernance, de soi. Le présent était éternel tant il inspirait le paradis espéré. Les selfies, les lives, les tweets, les posts, les screenshots nous attachaient aux amarres du nombrilisme. Le sous-sol africain cachait l’horreur de toutes les excentricités. Aussi bien celles de Cristiano Ronaldo qui font baver que celles qui s’accaparent le jus des frêles avant-bras dans les mines de Yaoundé, d’Accra… On croyait que la Solution finale n’obéissait qu’aux caprices de quelques-uns. Tout au moins qu’aux illuminés du Levant. Survient alors le Corona. Pas celui dont on se régale à coups de gorgées folles quand on cherche à fuir notre Prestige mythique. Ni celui que les amateurs de Snapchat se déposent sur la tête pour s’affubler du visage de leurs rêves, encore moins celui que s’arracheraient ceux qui croient que la direction des êtres humains leur revient tel un héritage, mais celui qui part de Wuhan de main en main traversant la Méditerranée, caressant les Amériques et s’agrippant à notre contrée si bien que la meilleure manière de se donner la main revient à ne pas se toucher, à s’éloigner de ce qui est le plus précieux pour soi, c’est-à-dire l’autre. La générosité de cette gangrène n’a pour mesure que l’indigence qui asséchait la cervelle des ayants droit de la 800e génération. Il fallait, semble-t-il, un exorcisme au fer à souder pour que soient rappelés à l’ordre les apaches de la longue durée, les vendeurs de l’éphémère, les in-timers, les as de la troisième révolution, les détenteurs du fin mot de l’histoire. Qui sait, par-delà les complaintes, les tirades, les enguelades, que l’éternel retour du même poindra de nouveau mais avec l’ancien comme si celui-ci n’avait point de rapport avec celui-là ? Les sirènes ont séduit du mieux qu’elles le pouvaient. L’idée que la Terre est ronde pour tous, qu’elle renferme les lubies de certains et permet les éruptions folles de quelques autres se révèle dans sa grinçante acuité avec cette couronne virale. L’idée que la technologie viendrait à bout de nos turpitudes et de nos manquements  s’évapore avec cet ange de la mort qui rappelle que nous sommes un. L’idée que la Lune est réservée aux élus pour conjurer un éventuel cataclysme nous signale que nous ne pourrons pas toujours courir à toutes jambes vers le satellite promis. L’idée que le faste, le mirage, le décalage sont étrangers à la racaille, à l’immonde, à l’innommable nous apprend que tout est lié. Le plouc, le gueux, le renfermé ont tout aussi leur mot à cracher que le clerc, le mandarin, le nanti et le faiseur de rois qui s’enorgueillissent de leur daltonisme pompeux. Le corona n’a pas attendu nos incartades pour nous asséner la douloureuse vérité que l’air ne travaille à la solde de quiconque. Celui qui ébranle les vérités d’hier et d’aujourd’hui nous conduit dans des zones de turbulences au milieu desquelles sortir indemne constituera une vraie partie d’échecs. La fascination de l’évanescence Chez nous, c’est l’heure de la récré avec le Covid-19. Il y en a qui ricanent parce que le « peyi lòk » ne les a pas anéantis; ceux qui sont réduits au silence pour avoir longtemps gueulé au nom du peuple; ceux qui matent un coup qu’ils ont concocté méticuleusement dans les blanchisseries de la République; ceux qui enfilent un masque pour mieux se taire; ceux qui se lavent les mains pour éviter d’aseptiser leur âme; et ceux qui attendent le son de la cloche pour connaître le verdict de l’instituteur. Celui-ci ne pardonnera aucune incurie. Encore moins les fallacieux malaises de personne. Quiconque ayant été incapable de réciter correctement la leçon sera puni de la verge du CV. On ne pourra plus compter sur la clémence du professeur ni sur les complicités de ses camarades, encore moins sur les bras longs des parents prévenants. Chacun sera amené à suer à grosses gouttes au tribunal des comptes. Pas celui auquel on  déroge à sa guise en se disant qu’à coups de billets, vertu, honnêteté, bien commun s’évaporent. Voilà le spectre qui se dessine à l’horizon. Nos repères méritent d’être revus. Notre civilisation a pendant longtemps toujours occulté la fragilité de l’humain. Chacun cherche un ailleurs comme si l’habitat terrestre est aléatoire, contingent, interchangeable. On met à jour les références à la manière d’une application désuète d’un portable. Au lieu de nous inquiéter, les insanités, les monstruosités défilent sous nos yeux de sorte que l’essentiel, le superflu, l’utile, le futile se mesurent à la même aune. On apprend tout, on oublie tout, on ramasse tout, on jette tout, on rit de tout, on se fout de tout. Cette fascination de l’évanescent réclame de l’enracinement, de l’ancrage, du rappel à la terre. Nous en sommes issus et nous y serons. Le nouveau coronavirus nous appelle à cette impérieuse mission. Ne nous leurrons pas : la civilisation du prêt-à-jeter aura encore quelques beaux jours devant elle. Le sera aussi le confort réel ou fictif qui va avec. Ses artisans n’abdiqueront pas un bon matin. Ils aménageront de « nouveaux paradis » pour les esprits candides. Mais d’autres Covid-19 plus meurtriers s’amènent subrepticement à nos portes. Ils nous infligeront les pires sévices, nous lanceront des questions quasiment insolubles, éveilleront en nous les énergies obscures. Désemparée sera notre piteuse condition tant elle accablera notre quotidien. Alors nous réaliserons qu’il faut lutter pour que bonheur et chimère ne riment pas, qu’opulence et indigence ne se côtoient pas, que technologie et nature ne s’excluent pas. Alors nous saurons que la Terre est à nous, les Terriens, sans exclusif.