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Le Nouvelliste

Blanchiment, lettre de crédit et autres subtilités des questions financières, Maxime D. Charles répond

Aug. 18, 2020, midnight

Le Nouvelliste : Qu’est-ce que le blanchiment ? Maxime D. Charles : La loi du 21 février 2001 relative au blanchiment des avoirs en son article 1.1 considère comme blanchiment d’argent :  La conversion ou le transfert des avoirs dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits avoirs, ou d’aider toute personne impliquée dans la commission de l’infraction à l’origine de ces avoirs à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ; La dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels de biens ; L’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens par une personne qui sait ou qui devrait savoir que lesdits biens constituent un produit du crime au sens de la présente loi. Pour le grand public, il est important d’insister sur 2 points : 1.- l’aspect dissimulation dans le mouvement des fonds 2.- l’origine illicite de ces fonds Pour bien cadrer la question, insistons que le présumé blanchisseur doit avoir eu en tête l’objectif de dissimuler la provenance des fonds, d’une part, et d’autre part, masquer leur origine illicite. Ajoutons donc qu’une institution financière ne peut pas parler de blanchiment dans une relation de clientèle, lorsque déjà elle est bien imbue de la provenance des fonds qui émaneraient d’une source régulière et pré-identifiée dans le cadre d’une opération de crédit qu’elle entretiendrait avec son client. Autrement, une telle institution pourrait courir le risque de s’auto-incriminer à titre de complice de l’opération qu’elle serait en train de dénoncer Parlant de blanchiment, nous nous situons dans le cadre du droit pénal. Ipso facto cela suppose que toute infraction dans ce domaine implique les trois (3) éléments requis dans toute matière pénale : L’élément matériel (le fait/acte pénal) ; L’élément légal (la loi qui a été violée : le principe étant qu’il n’y a pas de crime sans loi ; nullum crimen sine lege) ; L’élément moral (l’intention de commettre un acte illicite). Le Nouvelliste : Haïti a des lois sur la question et les banques sont astreintes à suivre des règles pour combattre le blanchiment. Qu’en est-il ? Maxime D. Charles : Effectivement, et heureusement, notre pays a réalisé un long et ardu cheminement dans la mise en place et le renforcement de son infrastructure en matière de lutte contre le blanchiment des avoirs. Retenons notamment : la loi du 21 février 2001 que nous venons de citer, amendée en novembre 2013 ; encore en novembre 2013, la loi sanctionnant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. À ce tronc juridique il faut ajouter de nombreux amendements législatifs concernant tous les secteurs de la vie publique ; et enfin tout un ensemble de règlements internes émanant des différents services publics. Une mention spéciale doit être faite des très nombreuses circulaires de la BRH. En plus de la règlementation qu’elles ont apportée aux banques et autres institutions financières, elles ont eu le mérite d’indiquer à l’ensemble de la communauté des affaires la direction qu’il fallait emprunter en attendant que les lois soient votées pour les autres secteurs d’activités. Pour répondre plus directement à votre question, les banques sont tenues de suivre les normes établies par la banque centrale à travers ses circulaires, des dispositions émanant d’institutions comme l’UCREF, l’ULCC entre autres. Beaucoup des dispositions de la BRH concernent des pratiques à observer pour démarrer et gérer une relation de clientèle ; des limites et obligations de fournir des informations à la banque centrale et à d’autres institutions. Pour faire court, disons que dans toute relation de clientèle le banquier est tenu de bien établir le profil financier de son client, de se conforter dans sa connaissance de l’acquisition des avoirs de ce dernier.  Deux règles d’or : Sources de la santé financière du client ? Utilité économique de la transaction que se propose de faire son client Le Nouvelliste : Peut-il y avoir de blanchiment dans le cadre d’un prêt obtenu d’une banque commerciale ou d’un contrat signé avec une institution publique ? Maxime D. Charles : Dans le cadre d’un prêt bancaire, la manœuvre impliquerait que le client garantisse le crédit qui lui serait octroyé par un dépôt placé chez son banquier ; ce qu’on a pris l’habitude d’appeler cash collatéral. Le crédit, une fois décaissé par la banque, le client malintentionné paierait son prêt avec le dépôt préalablement effectué à la banque. Toutefois, la réussite de cette manœuvre frauduleuse impliquerait soit la complicité du banquier, soit que ce dernier se soit laissé piéger de bonne foi (ou par simple négligence) car la prise d’un dépôt bancaire, surtout lorsqu’il est important, exige du banquier l’exercice de ce qu’on appelle la due diligence. En fait, au départ d’une relation de clientèle et de temps à autre par la suite, la banque établit le profil de son client, à savoir quels types (cash, chèques, virements bancaires …) et quels volumes de mouvement de fonds seront effectués sur les différents comptes du client. Pour ce qui serait d’un contrat signé avec une institution publique les possibilités de fraude ne seraient pas sous forme de blanchiment. Parce que d’un côté, la provenance des fonds ne serait même pas à dissimuler, puisque, de toute évidence, un organisme de l’État serait à l’origine des fonds décaissés pour honorer le contrat. D’un autre côté, une éventuelle origine illicite de ces fonds ne saurait concerner le dépôt à effectuer. Cas de figure classique : Un client se présente à un guichet de banque, muni d’un chèque émis en sa faveur par le Trésor public, ou encore, il reçoit un transfert émanant d’un organisme de l’État. Ce mouvement de fonds est étayé par un contrat avec une institution de l’État ; le contrat porte évidence de la bénédiction de la Cour supérieure des comptes, il n’y a rien à redire : l’origine illicite des fonds est bien établie, on ne peut donc pas faire état de blanchiment. Si préalablement il y avait eu malversation quant à une surfacturation dans les termes du contrat, ou à des pots-de-vin et autres, ceci ne peut tomber sous la responsabilité du banquier pour question de blanchiment. Le banquier ne saurait être juge de la régularité ou de l’honnêteté des termes du contrat, il y va plutôt de la responsabilité de l’ULCC, même pas de l’UCREF. Le Nouvelliste : Qu’est-ce qu’une lettre de crédit ? Maxime D. Charles : Sous ce vocable de lettre de crédit, on se réfère en principe à l’opération dite de crédit documentaire. Mais en fait, il existe aussi ce qu’on appelle lettre de crédit stand-by. La lettre de crédit ou crédit documentaire est l’opération par laquelle un banquier intervenant sur l’ordre d’un acheteur ou le règlement d’une opération financière, le plus souvent commercial, promet de payer le vendeur contre remise de documents qui donnent droit à la propriété de l’objet ultime de la transaction commerciale, savoir, achat de biens, prestation de services ou autres. À noter que la lettre de crédit est généralement établie comme étant irrévocable ou révocable (forme quasiment disparue). Pour donner plus de poids à une lettre de crédit, celle-ci peut être confirmée par une autre banque qui ajoute sa propre garantie de paiement à la lettre initiale. Une pratique s’était développée dans certains pays d’utiliser la lettre de crédit comme un document de garantie pour des prêts, par exemple. Les Américains, n’étant pas d’accord avec cette pratique, ont donné une appellation différente à un tel type de document qui en l’espèce a été dénommée lettre de crédit « stand-by ». A travers le monde, la matière des lettres de crédit est régulée par ce que l’on appelle « Règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires (RUU) » émises par la Chambre de commerce internationale et révisée périodiquement par cette chambre. Le Nouvelliste : Comment peut-elle être réalisée ? Maxime D. Charles : On ne peut pas vraiment parler de réalisation d’une lettre de crédit commerciale. La lettre prend typiquement fin lorsque le bénéficiaire a reçu le paiement stipulé dans le document après qu’il a soumis à la banque les documents appropriés tels que stipulés dans la lettre. Autrement, elle expire purement et simplement à la date limite indiquée dans la lettre. Cependant, dans le cas d’une lettre de crédit « stand-by », le bénéficiaire peut réaliser la garantie qu’elle représente, lorsqu’il y a un manquement (défaut de paiement) au respect de l’obligation que garantissait la lettre de crédit « stand-by ». Le manquement à l’obligation étant établi, le bénéficiaire de la lettre soumet sa demande de paiement à la banque émettrice. Le Nouvelliste : Peut-on, dans les pratiques bancaires, ne pas réaliser une lettre de crédit ou la révoquer unilatéralement ? Maxime D. Charles : S’il s’agit d’une lettre de crédit « stand-by » et que les conditions du paiement de la créance ont été respectées, il n’y aura pas lieu de réaliser la lettre de crédit stand-by. Prenons un cas où une lettre de crédit a été émise pour assurer le paiement trimestriel de services fournis de manière continue. Dans le cas d’espèce, les paiements ne sont mobilisables à partir de la lettre de crédit que dans le cas où le receveur de services n’aurait pas honoré les factures reçues, selon un délai préétabli. En pareil cas, le bénéficiaire de la lettre doit simplement tirer sur la lettre, c'est-à-dire obtenir paiement en soumettant à sa banque une réclamation appropriée accompagnée des documents (factures commerciales, relevé de comptes, etc.) requis dans la lettre. De nos jours, les lettres de crédit révocables ne sont pratiquement plus utilisées. Systématiquement, on utilise plutôt les lettres de crédit irrévocables. Pourtant la révocation de telles lettres de crédit nécessiterait les signatures tant du bénéficiaire que de l’émetteur. Le Nouvelliste : Le non-respect de contrats, obligations et engagements peut-il avoir des conséquences sur le système financier, poser des problèmes futurs pour avoir foi dans la réalisation des engagements ? Maxime D. Charles : La lettre de crédit est un instrument généralement utilisé dans le commerce international. En fait, même quand elle est prévue pour supporter une transaction apparemment limitée au niveau national, il existe souvent un élément propre à internationaliser le contrat. En premier lieu, la matière étant régulée par les usances et coutumes de la Chambre de commerce internationale, la violation de telles normes, si elles donnent lieu à publicité internationale peut avoir des conséquences très néfastes sur un système financier national.  En second lieu, s’il s’agit d’une lettre de crédit confirmée, la confirmation émane généralement d’une banque internationale. Pour nous répéter, le moindre manquement aux normes internationales est susceptible de fermer l’accès au mécanisme des lettres de crédit. Le Nouvelliste : Avez-vous analysé les dispositions du nouveau Code pénal en ce qui concerne le blanchiment ?  Est-ce qu’il y a des différences, des avancées ou des reculs ? Maxime D. Charles : Certaines modifications du Code pénal sont destinées à intégrer une réglementation agréée par la majorité des États membres du GAFIC, dont Haïti. À ce titre, ceci permet à Haïti de respecter des engagements pris longtemps déjà et de ce fait à nous conformer à certaines des 40 recommandations du GAFIC. De ce point de vue il y a des avancées. Une observation à caractère général pour terminer. Le droit dans toutes ses composantes est une science en constante évolution.  Parallèlement, la globalisation a pour conséquence immédiate d’augmenter les occasions de rencontres et d’interdépendances. De ce fait, les grands systèmes juridiques (Code napoléon, droit anglo-saxon...) influent les uns sur les autres. Entre-temps, certains États, dont le nôtre, sont plus lents à intégrer des changements. Vous pourrez voir que l’article 1.1 cité tout au début a la phraséologie suivante : Une personne qui sait ou qui devrait savoir… C’est une approche juridique bien anglo-saxonne. De même, le droit pénal haïtien (dans le contexte de lutte anti-blanchiment) a dû intégrer le concept d’unicité de la chaîne pénale. Autant de bouleversements qui heurtent (ou même choquent) le purisme de bien des juristes. Il est temps que dans notre milieu nous finissions par intégrer l’idée qu’en matière commerciale, économique, financière et surtout d’investissements, le droit moderne se soucie moins de savoir qui a violé quoi, mais plutôt s’évertue à la réalisation de la finalité de l’action. Il est urgent de moderniser l’approche juridique pour arriver à la mise en place d’un droit économico-financier visant la finalité. Propos recueillis par Roberson Alphonse