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Le Nouvelliste

« Se antann pou nou antann »

July 9, 2020, midnight

Dans ce cas, chacun se dépossède de sa puissance citoyenne et de sa capacité à agir positivement, ce qui revient à semer en soi mais aussi dans le pays, en dépit de l’ingérence étrangère constante (notamment nord-américaine et européenne) qui s’est souvent montrée partisane, manipulatrice, insidieuse, et malheureusement, des graines de division dangereuses aux conséquences potentiellement incontrôlables. Le vivre-ensemble ou la recherche permanente du consensus n’est pas, à relire ou à écouter l’énorme production de Sauveur Pierre Etienne, Hérold-Jean François, Marvel Dandin, Frantz Duval, Claude Moïse, Laënnec Hurbon ou Michel Soukar, un logiciel propre aux Haïtiens, prompts toujours à s’entredéchirer, lamentablement. Triste constat en vérité ! C’est la source de nos déboires, cette incapacité à négocier, à créer des espaces d’entente mutuelle pour résoudre pacifiquement nos différends, pour éviter les risques d’affrontement. Sinon, comment pourrions-nous arriver à accoucher une nouvelle Constitution ou à l’amender ? À élaborer de concert avec la diaspora et toutes les forces vives du pays un plan national de développement échelonné sur plusieurs années pour sortir de cette misère crasse, de ce trou sans fond ? Comment ? C’est encore une fois une question de nationaux et d’anti-nationaux, de promesses non tenues et de revendications désespérées à répétition. Beaucoup de problèmes disparaîtraient, ne surgiraient même pas, si nous étions tolérants et ouverts, généreux envers les plus faibles, soucieux du bien commun, attachés aux impératifs du progrès national. Il faut changer radicalement de vision et de méthode de gouvernement. La politique du pire et la méfiance ou l’exclusion au pouvoir ne débouchent en fin de compte que sur la catastrophe, la honte ou le malheur d’être haïtiens et l’incapacité à progresser collectivement, à moderniser le pays, à changer l’État. « Se antann pou nou antann nou », nous apprend une expression créole que répétait Titid mais sans succès, hélas. Une belle promesse ! C’est la marche à suivre pour mettre fin à ce cycle infernal de crises à répétition et de violences épouvantables (kidnappings, assassinats, vols à main armée, manifestations de rue accompagnées de pillages et de casses, brutalités policières). Accepter le consensus en tant que dirigeants et opposants amène à trouver ou à découvrir les repères en soi, et non à l’extérieur de soi, fixés par d’autres : l’État, la société, les conventions, les structures institutionnelles. C’est donc un moyen de retrouver une marge de manœuvre intérieure, une puissance intérieure, bref, un motif de vivre (lutter) et de renouveau pour le pays. Certes, le mécanisme habituel est de répondre à l’incertitude, au conflit déstabilisateur, au différend par le déchoukaj, la transition en veux-tu en voilà, l’ingérence étrangère « Pita pi tris ». Ensuite, on recommence pour reproduire après quelque temps les mêmes dégâts et les mêmes crises. On a là une sorte de fatalité maléfique. Certains ont la certitude que ce pays au bord du gouffre est comme hanté par des esprits destructeurs et terrifiants. Parce que le dialogue avec ou sans médiation internationale nous pousse à aller vers ce qui est bien pour le pays, le souci du bien commun, qui nous fait peur parce qu’on l’imagine trop souvent négativement. Et pourtant, sans accord politique, sans concessions mutuelles, pas de gains collectifs, pas d’opportunités, pas d’avancées et de progrès, pas d’expériences qui nous font grandir. Le dialogue permanent et constructif est porteur de transformation, de possibles, de renouveau. S’installer dans la recherche du bien commun est la clé : confiance en nos capacités, si souvent éprouvées, en nos jeunes, dans les forces de nos associations de base. La paix est liée à la justice sociale et au travail, si nous cherchons le bien-être général, nous réalisons que nous devons nous appuyer sur toutes les forces vives, notre diaspora si bafouée, nos divers talents, nos provinces reculées, nos ressources humaines, notre potentiel artistique et touristique qui, lui, demeure intact. En prendre conscience, se le rappeler souvent nous reconnectent à notre idéal ancestral de liberté et d’égalité, apaisent le mental et nous permet de mieux accueillir l’avenir, avec sérénité et détermination, avec humilité et clairvoyance. À nous d’en faire une opportunité constructive pour investir autrement, dans la confiance avec altruisme et pour créer un futur en lien avec ce que nous souhaitons vraiment pour ce pays en faillite, tant décrié, cette jeunesse aux abois. Et cela, je ne cesserai jamais de le marteler, y compris à tous mes compatriotes qui ne croient plus en l’avenir du pays.