Le Nouvelliste
Il n’y a pas de maladies honteuses
April 8, 2020, midnight
Il n’y a pas de maladies honteuses. Notre impuissance par rapport à elles, le temps que nous prenons pour les vaincre nous laissent beaucoup de stigmates et de douleurs. Nous avons particulièrement peur des maladies en Haïti. Nous nous sentons stigmatisés, elles nous forcent à baisser les bras et nous inventons toutes sortes de prétextes pour ne pas nous soigner ou nous faire soigner. Il est souvent plus confortable de voir une origine mystique à nos maux ; élever au stade du complexe des choses simples et nous mettre au centre de questions inextricables, nous perdre dans le déni, jusqu’à mourir auréolés de faux diagnostics et de présomptions qui finissent par hanter pendant des années nos proches. Nous sommes passés par le Sida, faut dire que les étrangers avaient choisi, en dehors de tout argument scientifique, sur des critères racistes et xénophobes, de nous faire porter toute la responsabilité de la genèse et de la propagation de la maladie. Les affections sont de grandes voyageuses, la grippe espagnole, la lèpre, ces jours-ci le Covid-19 nous confirment que nous sommes connectés, peu importe que nous fassions partie de ceux que la mondialisation a laissé de côté ou que nous soyons étonnants voyageurs, diplomates, commerçants. Nous semblons avoir très peu de moyens de changer l’histoire et les rapports que nous entretenons les uns avec les autres dans notre pays. Il se trouve que le statu quo arrange des gens qui disposent de moyens énormes pour manipuler la foule. En dépit du bon sens, des personnes qui ont accès à l’information, qui supposément se renseignent chaque petit matin et chaque soir sur les chiffres des décès en Espagne, en Italie, aux États-Unis et dans beaucoup d’autres pays, font croire que le corona virus n’existe pas, mentent sur les méthodes de transmission et de protection, privilégient des explications mystiques tout en infantilisant leurs compatriotes. Le pouvoir aujourd’hui appartient à ceux qui gueulent, ceux qui ont les moyens de provoquer la colère des foules, leur disent ce qu’ils veulent entendre, c’est à dire ce qui est à la fois facile et impossible, des choses qui n’ont que l’apparence de la vérité parce qu’elles ne peuvent être validées dans aucun système et surtout qui ne sont soutenues par aucune réflexion ou théorie. On ne peut pas percevoir le Covid-19 comme maladie honteuse sans assumer un mépris pour les centaines, bientôt milliers de gens qui en meurent tous les jours dans le monde, sans hypothéquer l’empathie que nous devrons éprouver les uns pour les autres quand nous allons être nombreux à en souffrir, dans quelques jours, dans quelques semaines. Tous les types de richesses sont mal distribuées en Haïti et il suffit qu’un petit malin identifie un filon qui peut lui donner de l’ascendance sur quelques-uns de ses compatriotes pour qu’il l’exploite à fond, sans que personne ne dise rien, comme si on saluait, sans le dire clairement, l’opportunisme de cette personne. C’est l’occasion qui fait le larron. Mais il y a trop de mauvais larrons. Le jour où notre pays se dira finalement la vérité, certaines personnes comprendront toutes seules qu’elles doivent se taire. Les intérêts individuels ne peuvent pas, à ce point, annihiler l’intérêt collectif. Nous sommes généralement dans le passif du monde, désavantagés par les statistiques. On a tellement martelé que nous étions le pays le plus pauvre de l’hémisphère que nous ne sommes même plus gênés de l’entendre, trop occupés à mener nos petites guerres. Allons-nous passer plus de temps à justifier que l’un des nôtre n’est pas mort du covid-19, que ce soit vrai ou pas, qu’à dire aux uns et aux autres, surtout à ceux qui souffrent de maladies chroniques, de se protéger ? Ce serait trop dommage !