Le Nouvelliste
Sangs et pleurs à Port-au-Prince et ailleurs
Oct. 8, 2020, midnight
Les gangs opérant dans les agglomérations urbaines n’ont pas l’exclusivité de la cruauté. Lundi 5 octobre, à la 6e section communale de Lafague, dans les hauteurs, à plusieurs heures de marche du centre-ville de Saint-Louis du Nord (Nord-Ouest), les membres du gang de Level ont attaqué et laissé dans leur sillage deux morts et ont incendié des maisons encore debout, a confié au Nouvelliste le Casec Tanissaint Joissaint, jeudi 8 octobre 2020. Les deux cadavres ne sont toujours pas inhumés. « L’une des victimes a été tuée par balle puis décapitée », a poursuivi Tanissaint Joassaint. La furie meurtrière des hommes venant de la 4e section s’est étendue à Nan-Fon où une autre personne a été tuée. Les évènements de lundi surviennent après ceux du 12 août, date d’une précédente incursion encore plus terrible. Les hommes de Level avaient attaqué, en l'absence d’un autre chef de gang de la 6e section de Lafague, Eric Prosper. Ce jour-là, six personnes avaient été tuées et une soixantaine de maisons furent incendiées, a confié le Casec Tanissaint Joissaint. « J’ai deux maisons qui ont été incendiées. Mon oncle a été tué », a ajouté ce représentant de l’État dépourvu de tout et qui vit aujourd’hui avec la peur au ventre. Ses efforts pour rapporter ce qui se passe dans ces sections lui ont valu des menaces de mort, a-t-il précisé. « Ces sections sont à 8 heures de marche quand il ne pleut pas. Je prépare un dossier pour le directeur général. Nous aurons besoin d’un back-up », a confié au journal le directeur départemental du Nord-Ouest de la PNH, le commissaire Auguste Monès. Ailleurs, à Port-au-Prince et dans d’autres villes de province, les bandits continuent de tuer. Le 25 septembre, Joanne Laguerre, 29 ans, a été abattue dans la cour de son entreprise à Delmas 91. À l’aube du dimanche 27 septembre 2020, le pasteur Quétant Jean-Philippe et son épouse ont été tués par balle, chez eux, à Onaville 18. À Saint-Jean-du-Sud, un couple a été tué puis décapité le 28 septembre. Jeudi 1er octobre, le policier Michel Marc-Gery a été retrouvé assassiné par balle au centre-ville de Port-au-Prince; l’inspecteur divisionnaire Angelot Verrier a été assassiné le mardi 6 octobre à Fontamara. La photo de son corps ensanglanté immobilisé dans son véhicule a fait le tour des réseaux sociaux. Maxime Léveillé, électricien, a été tué le 6 octobre dans la soirée, à Pacot. Le mercredi 7 octobre, le propriétaire de « Imaj Club », identifié comme « Géthro », alias « Boss Géthro », a été abattu chez lui, à Carrefour-Feuilles. Sur un autre front, les kidnappings se sont multipliés. Dans beaucoup de cas d’enlèvements, les familles subissent le drame, loin des projecteurs médiatiques. Pour d’autres, l’information, rendue publique, plonge dans l’émoi. Sur son compte Twitter, Dr Grégory M. Figaro, pianiste, directeur d’une chorale adventiste, sollicite la prière, jeudi après-midi, au troisième jour de captivité du Dr Yghor Myrtho Figaro, kidnappé devant sa maison lundi, à 8 heures du soir. Il a invité les amateurs de buzz à se contenir parce qu’une vie est en jeu. Sur la recrudescence des kidnappings, le porte-parole de la PNH, le commissaire Michel- Ange Louis-Jeune, a confié au journal, jeudi, que « la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) a reçu plusieurs plaintes et traite plusieurs cas ». « Les bandits ont un nouveau mode opératoire. Ils utilisent les uniformes de plusieurs unités de la police. Ce n’est pas un sujet tabou. Nous devons en parler pour que le public soit au courant », a confié le porte-parole de la Police nationale d’Haïti. « Quand un phénomène soudain est observé, il faut travailler pour y répondre », a-t-il répondu, interrogé sur la réponse de la PNH à cette situation qui glace le sang et plonge dans la peur. Parmi les réponses, le porte-parole Michel-Ange Louis-Jeune a indiqué qu’il faut « renforcer les dispositifs de prévention et renforcer les capacités opérationnelles des unités d’enquête de la DCPJ pour contrecarrer ce phénomène ». Le Nouvelliste a appris de sources bien informées que des enlèvements sont commandités par certains détenus puissants, depuis la prison civile de Port-au-Prince. Des victimes sont à nouveau séquestrées à Village-de-Dieu et à Grand-Ravine, a appris le journal de source qui a confirmé que des intermédiaires arrosent des chefs de gangs. Effectivement, il y a des intermédiaires proches du pouvoir et d’un ancien président qui soudoient des gangs du G-9. Ils ne sont pas les seuls. Il y a deux ex-sénateurs et un homme d’affaires dans le lot. Ces derniers temps, l’argent ne coule pas à flots et les soldats sont lâchés. « Ils font des kidnappings de manière indiscriminée afin d’amener de l’argent aux chefs », a confié cette source, estimant qu’il faut une vraie politique de réinsertion. Il faut éviter la politisation à outrance des gangs et agir pour leur intégration, a soutenu cette source. Entre-temps, la police peine à garder une présence dissuasive permanente couplée à des interventions pour mettre sous pression les bandits. Les membres du gang des 400 Mawozo reprennent du service, s’affichent, bling-bling, sur les réseaux sociaux. Et la PNH reste sur une opération sans prise dans le fief de Jimmy Chérizier, alias Barbecue. Sur le plan opérationnel, des véhicules blindés ont montré leurs limites. Au Bel-Air, la politique de la terre-brulée s’est poursuivie après cette intervention de la PNH. Des résidents du Bel-Air ont fui. En plein jour, des rues jadis bruyantes sont enveloppées dans un silence de cimetière déchiré souvent par des rafales d’armes automatiques.