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Le Nouvelliste

Les enfants des rues en nette progression à Jérémie

July 8, 2020, midnight

La Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) de 1989 prescrit que le développement sain des enfants est crucial pour l’avenir de toute société et reconnaît aux enfants le droit à un hébergement, aux loisirs, à un cadre de vie décent. À Jérémie, la réalité dément le fait qu’Haïti soit signataire de ladite Convention dont les dispositions, à la lumière de l’article 276.2 de la Constitution haïtienne, engagent l’Etat en termes de prise en charge des enfants, en particulier ceux, orphelins de père et/ou de mère, qui pullulent nos trottoirs et établissent leur quartier général, les mains tendues pour mendier, devant les institutions de services de la ville. En effet, ces enfants dits l'espoir de demain, une formule qui est sur toutes les lèvres, n'ont pourtant d'autre choix que de prendre le pavé pour se livrer à la mendicité. L’IBESR entre contraintes et réponses Leur nombre est en constante progression, depuis le passage de l'ouragan dévastateur Matthew, en octobre 2016. Pour essayer de comprendre le phénomène, Le Nouvelliste a rencontré plusieurs acteurs étatiques et les responsables des organisations et acteurs clés intervenant dans le domaine des droits de l'enfant. Madame Garlène Dupoux est responsable du bureau départemental de l'Institut du bien-être social et de recherches (IBESR) dans la Grand'Anse. Elle projette une certaine lumière sur la situation: « Nous sommes bien conscient du constat. C’est évident, le nombre des enfants de rues augmente chaque jour à Jérémie. Ce qu'il faut comprendre, a t-elle tenu à préciser, beaucoup d’entre eux ont de la famille. La plupart, a poursuivi la responsable de l’IBESR, ont obtenu l’accord de leurs parents, vivant dans des conditions précaires, il faut l’admettre, pour venir quémander en pleine rue. Ces enfants regagnent parfois leur pénates avec un plat chaud qui est fort souvent partagé entre plusieurs.» À la question de savoir quelles contraintes empêchent l'institution qu'elle dirige d’évacuer ces enfants, Mme Dupoux a souligné que ce n’est pas à l’IBESR de déplacer les enfants mendiant dans les rues. Il revient plutôt, selon elle, à la municipalité de les prendre en charge. « Nous, nous sommes là, a indiqué enfin Mme Dupoux, pour effectuer un travail de supervision et nous assurer le cas échéant de trouver à ces enfants un toit, une famille où ils pourront grandir et s’épanouir dans un environnement sain ». À l’origine du problème Gérald Guillaume, responsable de l'Idette, une organisation militant contre la traite et la maltraitance des enfants, évoque la migration rurale due à la décadence de l’agriculture et aux effets dévastateurs de l'ouragan Matthew, comme l'une des causes de la présence des enfants mendiants dans les rues de Jérémie. Le déplacement régulier de la population, délaissant les zones rurales pour émigrer dans des zones urbaines, parfois sans planification et même sans un sou, n'est pas sans conséquence. Parfois ces enfants, sous la pression d'un adulte, sont obligés de participer à des actes criminels pour se retrouver inopinément en prison.   Autre conséquence, évoque Monsieur Guillaume, c'est l'augmentation considérable des filles mères, des adolescentes qui pratiquent la mendicité et qui sont abusées sexuellement par des hommes. Tombées enceinte après avoir été victimes de viol, ces enfants sont livrées à elles-mêmes et sont donc contraintes d'investir les rues, pour satisfaire leurs besoins. « La société civile et l'Etat doivent prendre des mesures urgentes pour résoudre le problème », a conclu le responsable de l’Idette. Les enfants témoignent Le journal a approché des enfants semblant vivre en marge de la société. L’un deux, à peine douze ans, confesse: « Je suis obligé de solliciter l'aide d'autres personnes qui ont les moyens de subvenir à mes besoins quotidiens. Je suis l'aîné d'une famille de trois enfants. Ma mère et mon père ne peuvent même pas nous donner à manger. Moi j'ai la chance, j’ai au moins une vieille cabane pour dormir. Contrairement à d'autres parmi nous qui n’ont que les bancs de la plaçe Dumas pour s'allonger pendant la nuit ». Il a expliqué pourquoi ses pairs ne restent pas à l’orphelinat : « Il y en a qui fuient l'orphelinat parce que le traitement n'est pas si favorable que ça. Nou lan lari a, n ap chache, n ap brase », a lancé un autre sur un ton jovial, apparemment sans une conscience réelle de sa situation. Steevenson Jean Félix, un psychologue de formation, croit que l'une des principales causes de ce phénomène reste le « besoin ». L'enfant dont les parents ne peuvent plus combler les besoins est poussé par l'instinct de survie d'aller chercher une vie meilleure. La rue leur paraît donc la meilleure solution. Malheureusement,  a souligné le psychologue, nos politiques les utilisent pour accomplir parfois leurs sales besognes. Les autorités ont l'obligation de se pencher sur la question, car si rien n'est fait, d'ici quelques années on risque de voir Jérémie avec un taux d'insécurité très élevé. Il est encore tôt pour agir », a fait savoir le psychologue. Abandonnés presque à leur sort, ces jeunes et enfants n’ont personne pour leur inculquer des notions sociales et morales et des valeurs susceptibles de les aider à se construire. Il est à souligner qu’au regard de la Convention sur les droits de l’enfant, outre l’obligation faite à l’Etat de les prendre sous sa coupe, « toute décision administrative ou toute autre mesure intéressant l’enfant doit prendre en compte le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant » (Art.3).