Le Nouvelliste
En temps de "peyi lòk"
Oct. 1, 2019, midnight
Les rues de Port-au-Prince présentent un tableau de fin du monde. À l’avenue Magloire Ambroise, près de la rue Cadet Jérémie, un cadavre humain compose avec une pile de fatras. Les gens vaquent à leurs occupations. Les passants pressés jettent un œil distrait sur cet homme parmi les pneus calcinés. Tout le long de l’avenue Magloire Ambroise, tessons de bouteille, bouts de métal, pierres jonchent l’asphalte. A Christ-Roi, un cadavre de chien gonflé comme un pneumatique n’est pas loin d’exploser. Des jeunes gens assis pas trop loin des dépouilles de cet animal devisent avec nonchalance. Sur un tronçon de Delmas 31, une pile de fatras occupe une bonne partie de la rue. Des gallons jaunes attachés aux taxi-motos lancent aux consommateurs d’essence le signal d’alerte de la pénurie chronique. Partout à Port-au-Prince, les immondices font office de barricades : bout de bois, récipients, pierres, fer, tôles calcinés, blocs forment des obstacles pour entraver la circulation des véhicules. Partout au centre-ville et dans la périphérie de Port-au-Prince, des déchets de toutes sortes brûlent : pneus, vieilles batteries, matières plastiques, bois, contenus des bennes à ordure oubliés par la mairie depuis des semaines, chiens éventrés, etc. Le marché informel sur les trottoirs a laissé libre cours à la circulation piétonne. Rares sont les marchands de restauration rapide dans le paysage vidé de ces passants qui se bousculaient, s’engueulaient et venaient parfois aux poings en temps singulièrement normal. Les gens passent leur chemin, l’oreille collée à leur poste de radio qui diffuse les dernières nouvelles du jour. Tout le monde est comme drogué de nouvelles. L’actualité ballotent les gens au gré de l’humeur à l’antenne, dans les rues et sur les réseaux sociaux. En face du Palais national, haut lieu symbolique du pouvoir en Haïti, près de la statue de Toussaint Louverture, un homme se baigne en slip. Il se parle à lui-même à haute et intelligible voix : « Gad yon bèl peyi konsa nèg yo ap kraze. Chak jou m leve m sou. Mwen menm m byen dòmi bò palè m nan. Gad tout kote m genyen pou m repoze m. Nèg yo anraje mesye. M pa ta renmen yon vin mòde m la. »