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Le Nouvelliste

Haïti: le produit  intérieur brut (PIB) par habitant de 2021 est inférieur à celui de 1945

April 13, 2021, midnight

SA KA LA KA WÈ L YÈ SWA MWEN FÈ YON RÈV   AYITI RANJE EPI  NOU VIN BÈL… ANKÒ LAMENM MWEN TE GEN YON PANSE POU SA KI TE VLE L  YO KI GENTAN ALE, SAN YO PA WÈ L MWEN PANSE POU SA KI LA YO  TOU POU YO KONPRANN KOTE NOU SOTI AK SA NOU KA PÈDI POU YO KA DI SA KI POKO VINI YO: NOU PA DWE JANM TOUNEN LA A… ANKÒ Pendant longtemps, les estimations du produit intérieur brut[1] (PIB) réel d’Haïti ne remontaient qu’à 1960, et sur la base de celles-ci, il était déjà possible de constater que le PIB par habitant aujourd’hui était inférieur à celui d’alors.  Des bases de données[2] diverses sont devenues disponibles, et elles permettent maintenant de remonter jusqu’à 1945: notre PIB réel par  habitant  en 2021, 53.867 gourdes[3], exprimé en gourdes de 2012, est inférieur à celui de 1945, 72.550 gourdes. Le constat est alarmant !  Quoiqu’elles ne nous renseignent pas sur la problématique de la distribution des richesses, ces statistiques reflètent néanmoins la détérioration de la performance économique dans l’Haïti d’aujourd’hui par rapport à celle d’hier, et traduisent par-dessus tout la détérioration de la qualité de la vie elle-même.  En effet, pareille contre-performance n’est pas sans implications importantes pour l’évolution des conditions de vie et des niveaux de revenu d’une tranche importante de la population. De toute façon, au regard de la pauvreté généralisée et des potentiels non réalisés, elle nous interpelle et nous signale l’impérieux besoin d’un décollage économique.  L’analyse des données du PIB au cours des soixante-quinze dernières années nous permet d’établir un fait important : quel que soit le moment à partir duquel  nous nous déciderions à opérer un décollage économique dans le futur, nous n’en serions pas à notre premier essai.  En effet, à trois reprises durant les trois quarts de siècle écoulés, l’économie haïtienne semblait prendre un envol. La première tentative de décollage date du début des années 1950 sous la présidence de Paul Eugène Magloire dans la foulée des mises en place opérées par le président Dumarsais Estimé.  La seconde se situe à la fin des années 1970, une période durant laquelle l’économie a enregistré son plus haut niveau  de PIB par habitant.  Finalement, beaucoup plus proche de nous, entre 2005 et 2011, l’économie semblait, même après le tremblement de terre de 2010, se placer sur une trajectoire de croissance accélérée. Mais, à chaque fois, l’élan a été interrompu. Ce n’est pas le seul fait de catastrophes naturelles. On peut parler d’inertie, mais il semble également s’être produit des cassures et des remises en question qui se sont traduites par une évolution en dents de scie du PIB et du PIB par habitant.  La nature de ces cassures est matière à études approfondies dans plusieurs domaines de spécialisation académique. Tout en n’ignorant pas que le passé et les conditions initiales peuvent représenter des contraintes, le présent exposé  choisit de ne pas s’attarder sur ces causes, au moins dans un premier temps, mais adopte plutôt une posture que certains qualifieront de volontariste.  Fixons le regard vers le futur. L’hypothèse formulée est celle-ci : l’économie haïtienne n’a jamais encore été placée en orbite de croissance et de développement, c’est-à-dire à l’abri des pesanteurs sociales et politiques.  Autrement dit, la précarité, entre autres facteurs, est pesante et nous attire vers le bas. Il existerait un niveau de richesse, assorti d’emplois, tel que, si nous parvenons à l’atteindre,  les remises en question profondes et les revirements sont tellement coûteux que la majorité, voire une minorité, n’a pas intérêt à (ou même la capacité de) les provoquer. Cette approche nous invite à porter l’attention, dans ce premier temps, sur une question fondamentale qui prend pour cible une sortie  de la précarité: quel taux de croissance est nécessaire et combien faut-il de temps pour que nous atteignions le PIB par habitant le plus élevé que nous ayons jamais connu, c’est-à-dire celui de 1980? Dans un deuxième temps, la question portant sur les leviers à mobiliser pour l’atteinte de cet objectif peut être soulevée, et c’est à cette étape que les contraintes doivent également être reconnues en vue de l’élaboration d’une stratégie viable.  À ce chapitre, nous ne manquerons pas de noter l’impact dévastateur, tant du point de vue du PIB que de celui du PIB par habitant, de l’embargo commercial imposé contre Haïti entre 1992 et 1994.  Cet évènement a fait reculer le PIB réel de  17 ans. Quant au PIB réel par habitant, il s’est situé à 49.000 gourdes environ  en 1994 après qu’il avait atteint le niveau de 66.334 gourdes en 1991.  Déjà dans la période 1981-1991, le PIB avait chuté sous l’effet de facteurs externes et internes (SIDA, choc pétrolier, troubles politiques) accusant en moyenne un taux de croissance de -0,5%.  L’embargo aura  amplifié  cette chute: le PIB s’est contracté de 21% entre 1992 et 1994 et l’investissement direct étranger a affiché des flux nets négatifs entre 1991 et 1994. L’économie n’a pas encore récupéré pleinement de ce choc, et nous ne devrions plus nous exposer à des secousses d’une telle envergure.   Quel taux de croissance et combien faut-il de temps pour que nous atteignions le PIB par habitant le plus élevé que nous ayons jamais connu, celui de 1980 d’environ 87.800 gourdes? Des déboires passés et présents font qu’il s’est développé dans notre pays, chez beaucoup d’individus, une sorte de fatalisme, un complexe ou encore une culture de déchus. Sans le vouloir, et même  sans le savoir, nous nous assimilons à l’échec et nous assumons la défaite. Il est difficile dans cet état d’esprit, entretenu et alimenté par une situation socioéconomique et sécuritaire nettement dégradée, de penser que nous sommes capables de bien faire, voire même de mieux faire. Faut-il être artiste pour croire en une Haïti viable, verte, et prospère?  Non. Calculons les taux de croissance qui nous amèneront au PIB par habitant de 1980. Les dés sont jetés : il n’y aura pas de croissance en 2021, et elle sera probablement faible en 2022.  En 2020, à cause des résultats économiques médiocres pendant  quatre années, le PIB a reculé de sept ans, et le PIB par habitant de douze ans. Nous commençons la simulation en adoptant un taux de croissance de - 2% pour 2021. Ensuite,  nous supposons qu’en 2022, l’économie va croitre à un rythme de 2%, mais qu’entre 2023 et 2030, le taux de croissance moyen annuel se situera autour de 7,6%. Alors, en retenant un taux de croissance annuel de la population de 1,3%, ce rythme de croissance du PIB permet qu’à l’horizon 2030 le PIB réel par habitant atteigne le niveau de 88.113 gourdes, dépassant celui de 1980.  Est-ce possible? Entre 1976 et 1980, le PIB réel haïtien avait crû au taux moyen annuel de 6,7%. Entre 1969 et 1976, le PIB de la République Dominicaine a affiché un taux de croissance annuel  moyen  de 10%. Dans une période plus récente, mesuré en dollars constants de 2010, le PIB ghanéen est passé de $ US 9,1 milliards en 1984 à $ US 57,3  milliards en 2019, soit une progression de  532% en 35 ans. Dans le même intervalle, le PIB haïtien, mesuré dans la même monnaie, est passé de $ US 10 milliards, oui, notre PIB était alors supérieur au leur,  à $ US 14 milliards, soit une variation de 41% seulement. À l’instar de celle d’Haïti, l’économie ghanéenne n’a jamais vraiment affiché des taux de croissance à deux chiffres, c’est-à-dire de 10% ou plus. Cependant, à l’encontre de notre pays, le Ghana a su maintenir une croissance soutenue sur un temps suffisamment long. C’est ce que la notion de mise en orbite requiert. En 2010, au lendemain du tremblement de terre, le Fonds Monétaire International (FMI)  avait projeté  un taux de croissance annuel moyen du PIB de 7% entre 2011-2012 et  2014-2015. Nous n’avons réalisé qu’environ 2,2% pendant cette période. Entre 2006-2007 et 2010-2011, le taux de croissance annuel moyen  du PIB s’est chiffré à 3,3%[4]. Nous sommes loin des résultats souhaités.  Bien que la croissance économique ne constitue pas une condition suffisante pour le développement social et le progrès technique, elle s’impose néanmoins comme une condition nécessaire. Des taux de croissance nettement plus élevés que ceux que nous avons connus récemment, et même que ceux d’avant, sont certainement possibles en Haïti, car les potentiels existent. Comment les exploiter  et les transformer en opportunités effectives? Sur quels leviers jouer? Voilà d’excellents sujets de débats et de discussions entre les différents acteurs politiques, économiques et sociaux. Soulignons d’ores et déjà à leur attention que la croissance forte et soutenue que nous souhaitons peut ne pas être possible sans l’investissement direct étranger (IDE).  La République Dominicaine et le Ghana ont reçu  $ US 43,5 milliards et $ US 41,5 milliards en IDE, entre 1984 et 2019, respectivement.  Dans le même intervalle Haïti n’en a reçu que $ US 2 milliards. Nous affranchir de nos « démons » pour croitre et maintenir le cap Le problème de notre capacité à maintenir une croissance soutenue a été posé, et il mérite d’être adressé. Nous commencerons avec le constat suivant. À partir de 1981, l’économie haïtienne battait déjà de l’aile. Cette année-là, le PIB avait chuté de 2,9%, et la décroissance allait être encore plus grande en 1982 : -3,6%. Suivent trois années de piètre performance qui n’ont  pas vu le PIB atteindre un taux de croissance de 1% avant qu’il n’exhibe encore un repli de 0,5% en 1986.  Ces chiffres sont symptomatiques d’un système (d’une machine) économique à bout de souffle et qui avait atteint ses limites. Il aurait fallu du capital neuf, et avec lui peut être même d’autres acteurs, d’autres créneaux et filières, et plus d’ouverture. Le système politique et les intérêts particuliers ne l’auront pas permis. Entre 1970 et 1980, la République Dominicaine avait accueilli $ US 637 millions en investissement direct étranger (IDE) alors qu’Haïti n’en avait reçu que $ 78,6 millions. Et les acteurs politiques qui devaient venir après 1986 n’étaient pas nécessairement porteurs d’un projet économique et politique qui était susceptible de relever les défis d’un monde sur le point de se  transformer en village. En Haïti, les institutions n’ont pas changé, les lois, à quelques exceptions près, n’ont pas changé non plus, les chasses gardées demeurent ainsi que  les modèles d’affaire (lire d’accumulation).  Des simulations ont été  réalisées pour  neutraliser l’effet des divers chocs qui ont secoué l’économie entre  1990 et 2019: a) désastres naturels ; b) troubles politiques ; c) embargo. La méthode utilisée est celle du lissage, et elle consiste à remplacer les taux de croissance associés aux chocs par des taux moyens de croissance de trois années précédentes.  La simulation montre que, en 2020, nous aurions eu un PIB réel par habitant de 59.131 gourdes au lieu de 55.680 gourdes. C’est mieux, mais loin de ce que nous recherchons : le niveau de 87.800 gourdes atteint en 1980. Il faut insuffler un nouveau dynamisme à l’économie. Caricaturons un peu, et  imaginons le scenario suivant pour continuer à expliquer les causes possibles du marasme économique. Une équipe vient avec ses projets, ou sans projet, elle part ; une autre arrive, s’installe, bouscule celle qui était en place et, le cas échéant, remet les projets existants en question, elle en met d’autres en route, si elle en a. Les résultats varient : ils sont bons, moins bons, même mauvais, au gré des compétences et des appétits individuels ou de clans, mais rien de vraiment  durable, puisque non inscrit à l’enseigne du collectif ou celle du changement, voire de l’innovation, et certainement pas dans la durée. Ainsi, au premier vent: adieu, veau, vache, cochon….et ça repart.  Le graphique ci-dessous illustre l’évolution comparée dans la formation  du capital pour trois économies depuis les années 1950: a) le Ghana ; b) la République Dominicaine ;  c) Haïti.  Les différences observées en termes de croissance économique entre les trois pays s’expliqueraient, en partie, par  leurs accès différenciés au capital, tel que le suggèrent les statistiques sur les IDE.  N’est-il pas permis de poser l’hypothèse que les choix de politiques publiques et les arrangements institutionnels font que l’économie haïtienne n’a pas eu accès au  capital nécessaire à une croissance plus forte et soutenue ? Par exemple, les économies haïtiennes et dominicaines ont commencé à diverger au moment même où le processus de formation du capital s’est accéléré à l’Est de Quisqueya. Les IDE seraient donc un des éléments déterminants pour assurer une croissance forte. Bien entendu, il faut un minimum de stabilité pour les attirer, mais un dialogue motivé et crédible débouchant sur une entente solide pourrait  aider à satisfaire cette condition. Les IDE ne viendront pas en masse dans un premier temps.  Par contre, il existe des opportunités, et quand nous commencerons à renouer avec la croissance, celle-ci sera également porteuse de stabilité.  La stabilité s’installera pour plusieurs raisons : i) une amélioration des conditions de vie ; ii) l’émergence  de nouvelles opportunités et de nouvelles perspectives sur l’avenir, et avec tout cela ; iii) de nouveaux comportements et de nouvelles attitudes plus compatibles avec la croissance elle-même.  De ce processus  émerge, au fil du temps, un environnement  encore plus attrayant pour l’investissement  tant étranger que domestique. Le capital ne vient pas tout seul. Il vient avec des innovations en technologie et du savoir-faire, des opportunités d’emploi et de formation pour les jeunes, des ouvertures sur certains marchés internationaux, la projection d’une image plus flatteuse pour le pays, et surtout une capacité d’installer et de faire tourner, au besoin, de nouveaux moteurs pour la croissance, etc.  Ces processus très dynamiques, avec des implications pour des changements à apporter au cadre légal et règlementaire, sous-tendent les pentes ascendantes que nous visualisons, dans le cas du Ghana et celui de la République Dominicaine, dans le graphique illustrant l’évolution du stock de capital.  Haïti a besoin de « capitaux neufs », et nous devrions encourager et rechercher de nouveaux investissements en accordant une attention particulière à ceux qui stimulent la production nationale; aucun pays n’a pu se développer sans qu’il n’en ait facilité l’essor. Conclusion Les discussions menées au cours de l’exposé ont évoqué des questions liées à la gouvernance et aux limites et inerties d’une société de rente pour comprendre le marasme dans lequel l’économie haïtienne est plongée. Par conséquent, il y a lieu de se poser la question: à l’ère démocratique, des revers économiques  pourraient-ils continuer à se produire  s’il existait une vision partagée, un autre projet, pour le pays, une vision clairement définie, des choix et options économiques expliqués, connus de la majorité et validés par elle, et donc opposables au personnel politique et à ses alliés? La durabilité des résultats économiques et la réalisation d’un mieux-être social requièrent tout d’abord un vrai dialogue et une entente. Il faudra également, dans ce contexte, se pencher sur le renforcement des institutions publiques et privées, incluses celles de la société civile afin de faciliter l’institutionnalisation de nouvelles plateformes de gouvernance et d’échanges entre les divers secteurs et entités de la vie nationale.  Pour atteindre leur niveau de développement, d’autres pays ont su vaincre, ou au moins maitriser, les « démons » qui les habitent. Que ce vrai dialogue constitue le premier pas pour que nous commencions à trouver et à tracer la voie pour nous affranchir des nôtres.  Ici encore, il sied de rappeler que la croissance peut ouvrir l’accès à un « cercle vertueux ». Que peut-on espérer au terme des échanges entre les différents acteurs de la vie nationale? Une vision partagée des choix stratégiques à opérer grâce à une meilleure compréhension des enjeux et des défis socioéconomiques, dont une distribution plus équitable de la richesse, et des choix politiques idoines, y compris ceux qui ont trait aux élections, quand il s’agira de procéder au choix des dirigeants tant locaux que nationaux. Concevoir ensemble neuf à dix ans de croissance ininterrompue, est-ce vraiment rêver? Anticipons et préparons-nous pour la reprise de l’économie mondiale en 2022 et en 2023. La transparence et la communication constitueront des outils indispensables dans la poursuite de ces objectifs.  Pourquoi? Au moins trois raisons: i) la population haïtienne a le droit de savoir là où on veut la mener et de se prononcer: faire autrement constitue un déni de citoyenneté et relève, en plus, d’un paternalisme contreproductif ; ii) l’accès à l’information peut calmer les suspicions, éviter les remises en question, et limiter les blocages non fondés et inopportuns à l’investissement ; iii) les corrompus fuient la transparence comme les vampires le soleil. Convaincus? 2030, c’est demain.  Au travail alors! [1] Le produit intérieur brut mesure la valeur de tous les biens et services produits dans un pays, et est par conséquent un indicateur  qui mesure la production de richesse. [2] Les sources de données comprennent l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), la Banque Mondiale, et le projet Angus Madison, the World Economy, Historical Statistics. [3] Projection de l’auteur. En 2020, avec un repli de 4% du PIB, on peut déjà calculer un PIB par habitant de 55.680 gourdes. On obtient le résultat de 53.867 gourdes en supposant une baisse de 2% du PIB en 2021, et une augmentation de 1,3%  de la population. [4] Calculée en excluant l’année de la survenance du tremblement de terre, cette moyenne se situe autour de 5,1%. ---------------------------------------- Daniel Dorsainvil, Ph.D Économiste