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Le Nouvelliste

Me Jean Ernseau Renaud: analyse sur l'initiative prise par le pouvoir exécutif d’abroger la Constitution du 29 mars 1987 amendée

March 22, 2021, midnight

La Constitution comme norme suprême est l'un des éléments constitutifs ou fondateurs d'un État. Les premières Constitutions écrites remontèrent à la Grèce et à la Rome antiques. Tandis que les constitutions coutumières datèrent du XIe siècle, on retient par exemple, celle de la Grande-Bretagne. Et les premières Constitutions modernes furent celles des États-Unis (1776 - 1787) ; celle de la France du 3 septembre 1791; celle de la Pologne du 3 mai 1793; la Constitution de l'île saint-dominguoise du 1801 pour certains et celle du 1805 pour d'autres. En ce sens, Haïti a été toujours au grand rendez-vous dans l'histoire des grandes normes et théories juridiques sur lesquelles toutes nations assoient leur base. Cependant après plus de deux siècles, on constate aujourd'hui que le pays tâtonne sur sa forme républicaine, son fondement social et sa raison d'être comme État. En se basant sur le décret pris par le pouvoir exécutif demandant au Conseil électoral provisoire (CEP) via une commission pour organiser un référendum tendant à changer la Constitution haïtienne du 29 mars 1987 amendée. Ainsi donc, à travers ce travail scientifique nous allons analyser à la fois la Constitution haïtienne en vigueur et l'initiative prise unilatéralement par le pouvoir exécutif et la position de l'opposition y relative au regard des grandes théories et pratiques du droit constitutionnel. Au cœur de cette crise politique qui gangrène la société haïtienne depuis le 7 février 2021, il y a deux grandes idées qui s'affrontent. D'un côté, le pouvoir exécutif dirigé par le président de la République Jovenel Moïse, préconisant ses deux grands chantiers qui sont l'organisation d'un référendum tendant à abroger la Constitution du 29 mars 1987 amendée ensuite l'organisation générale des élections. D'un autre côté, l'opposition préconise l'application de l'article 134.2 de la loi mère, un dialogue national, l'élaboration d'une nouvelle Constitution, l'organisation des élections générales, ensuite l'organisation du procès PetroCaribe, etc... Eu égard à tout cela, analysons ces deux grandes tendances à la loupe du droit constitutionnel. I) la constitution, sa définition La Constitution comme valeur symbolique, philosophique, juridique est définie, selon Maurice Duverger, comme partie du droit public qui régit les institutions politiques. Comme loi mère, elle est astreinte ou soumise à un mode d'élaboration. II) Les  modes d'élaboration de la Constitution 1) Mode autoritaire Le mode autoritaire est la négation du mode démocratique. Autrement dit, le dictateur ou le tenant du pouvoir rédige lui-même la Constitution et l'impose à ses sujets. Elle comprend par exemple: 1°) La charte octroyée: Cette procédure d'abrogation de la Constitution est un mode non démocratique, elle a été appliquée en 1814 par Louis XVIII lors de la restauration monarchique. Ainsi, le monarque fixe lui-même les limites de son pouvoir et impose son texte à ses sujets. Que dit la Constitution haïtienne en situation pareille ?                                              L’article 58 de la Constitution haïtienne stipule que : la souveraineté nationale réside dans l'universalité des citoyens. L'art 59 s'enchaîne pour embrasser l'Esprit des Lois de Montesquieu pour dire que les citoyens, comme seuls souverains, délèguent l'exercice de cette souveraineté nationale à trois pouvoirs : 1) le pouvoir législatif, 2) le pouvoir exécutif, 3) le pouvoir judiciaire. Fort de tout cela, avec la création de la commission intermédiaire indépendante du décret de Jovenel Moïse consistant à amender la Constitution, le chef de l'État a accepté de faire reculer le pays à des siècles en retard comme au vieux temps de la France de Louis XVIII, et c'est aussi le cas de la Russie en 1993 avec Boris Eltsine. En outre, il a décidé de violer la Constitution comme bon lui semble et a méprisé aussi le principe de la hiérarchie des normes, les grandes théories et pratiques du droit constitutionnel, nous disait Hans Kelsen. 2) Mode démocratique : Suivant ce mode de procédé, l'élaboration de la Constitution peut découler soit: à la suite d'une révolution ou d'un coup d'État. Par ailleurs, au nom de la probité intellectuelle il faut souligner qu’il n'y a aucun texte, ni aucune doctrine qui confère cette compétence à une entité déterminée. Cependant les théories et pratiques du droit constitutionnel reconnaissent deux modes constituants: 1) constituants originaires 2) constituants dérivés. 1°) Constituants originaires Le peuple comme seul souverain détient la légitimité populaire. Ainsi, il peut décider de déléguer une partie de sa souveraineté à une entité ou un groupe bien déterminé en vue d'élaborer la Constitution. C'est ce que les spécialistes appellent les constituants originaires ou l'assemblée constituante. Par exemple, c'est cette procédure qui a accouché de la Constitution fédérale américaine de 1787 par la Convention de Philadelphie, elle a été aussi retenue en France lors de la révolution du 26 août 1789 ensuite, retenue dans plusieurs autres pays. Grosso modo, l'assemblée constituante originaire est un pouvoir de fait puisqu'il détient la légitimité populaire. Ensuite le peuple, comme seul souverain, revient à la charge par voie de référendum pour sanctionner par un vote (oui ou non) le texte proposé par les constituants. Par ailleurs, dès qu'une assemblée constituante originaire s’est érigée, on est en face soit d’une révolution, soit d'un coup d'Etat. En ce sens, nous nous interrogeons et demandons si le pouvoir de fait de Jovenel Moïse est en pleine révolution. Ou du moins si ce qui s'est déroulé à Petit-Bois dans la commune de Tabarre qui avait soldé à l'arrestation d'un juge à la Cour de Cassation (équivalence à la Cour suprême) était un auto-coup d'État? La Constitution du 29 mars 1987 amendée est-elle mise en veilleuse aujourd'hui par l'administration Moïse-Jouthe? 2°) l'assemblée dérivée ou constituants dérivés Ce mécanisme de modification ou de révision est prévu par la Constitution qui trace les règles procédurales si toutefois on veut la modifier en vertu de son caractère durable. Et c'est le cas de la Constitution du 29 mars 1987 amendée. Pour comprendre bien cette théorie, il faut par exemple lire l'article 282 qui stipule que: « En revanche les 282.1 et 283 fixent les délais de cette procédure qui sont la dernière session ordinaire d'une législature pour la déclaration et la première session de la législature suivante en ce qui concerne l'amendement proposé.» Il est à souligner que la Constitution haïtienne en vigueur attribue une compétence partagée au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif en ce qui a trait à son initiative d'amendement ou de modification et même de révision. Force est de constater que la loi mère ne reconnait en aucun cas cette commission mise en place par l'exécutif. D'autant plus que  cette tentative initiée par le pouvoir en place est inédite dans le mode démocratique et dans tout État de droit. III) Différence entre une Constitution souple et une Constitution rigide   Une Constitution est dite souple lorsqu'elle ne se soumet à aucune procédure spéciale. Autrement dit, c'est celle qui peut être modifiée comme les lois ordinaires. À l'inverse, une Constitution rigide prévoit sa procédure de modification ou de révision en vue de s'assurer sa suprématie sur toutes les lois ordinaires et d'instaurer un contrôle de constitutionnalité de la loi. C'est le cas de la Constitution haïtienne en vigueur suivant le titre XIII et l'article 190. Cependant, ce principe fait l'objet de critiques en raison de la souveraineté populaire dans le sens que le peuple peut décider à n'importe quelle durée de sa vie de changer ses lois. IV) Le principe de supra-constitutionnalité L'une des caractéristiques de ce principe est de limiter le schéma général de la révision de la loi mère pour empêcher toute atteinte à la forme républicaine et à l'anéantissement des institutions politiques et publiques. Bref, ce principe susmentionné est prévu et garanti par la Constitution haïtienne en son article 284.4 qui dit clairement qu' «aucun amendement à la Constitution ne doit porter atteinte au caractère démocratique et républicain de l'État». Cependant, constate-t-on dans le texte proposé par Jovenel Moïse via sa commission demandant l'annulation du Sénat au profit d'un monocaméralisme. En outre, cette abrogation annule aussi à travers l'un de ses articles le poste de Premier ministre en faveur d'un vice-président pour ne citer que cela. Revenons aux questions précédentes : est-ce que la Constitution du 29 mars 1987 amendée n'est plus d'application? Ou bien est-ce que nous sommes en situation de révolution ou de coup d'État? Enfin, est-ce que le pouvoir en place jouit de la légitimité populaire? In fine, la Constitution comme norme suprême définit l'attribution des trois pouvoirs de l'État. Par conséquent, le président n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution. Elle incombe au président le respect des institutions au même titre qu'il est leur garant. Dans cette même logique la Constitution du 29 mars 1987 amendée et les grandes théories et pratiques du droit constitutionnel susmentionnées prévoient une procédure portant à toute révision ou amendement de la Constitution. En effet, le décret instituant la commission intermédiaire indépendante qui a la tâche d'amender la Constitution haïtienne est un affront à la démocratie et à l'État de droit. Cet acte met aussi en péril la valeur symbolique, philosophique, juridique de la Constitution par l'anéantissement des institutions politiques et publiques. Cependant, si le président Jovenel Moïse veut réviser la Constitution, il devra se lancer dans cette mission quasiment impossible qui consiste à trouver l'accord des citoyens, non à travers ce référendum qui est interdit par la Constitution. De son côté, cette opposition qui se dit démocratique et qui préconise aussi une nouvelle Constitution doit se débarrasser des réactionnaires politiques, C'est-à-dire «ôte-toi de là, que je m’y mette (...)» si elle veut maintenir sa légitimité populaire puisque cette transition démocratique est incontournable comme je l'avais déjà dit dans l'un de mes articles. Enfin la crise que connait le pays est beaucoup plus complexe que les sciences mathématiques. Pour cela, le retour à l'ordre constitutionnel s'avère nécessaire pour aboutir à un État de droit. Me Jean Ernseau Renaud, avocat au barreau de la Croix-des-Bouquets, étudiant finissant en sciences politiques à l'INAGHEI, Email : jeanernseau.renaud@yahoo.fr Tel:37224584.                                                                                                                              Me Renaud Jean Ernseau