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Le Nouvelliste

Extraction minière en Haïti, le pays pourra-t-il supporter les conséquences environnementales ?

March 8, 2021, midnight

Les retombées financières de l’extraction minière en Haïti pourront-elles justifier les risques considérables qu’elle pose pour l’environnement, la santé publique et les communautés ? C’est à cette question que les autorités haïtiennes devront répondre sur l’éventuelle exploitation des ressources minières en Haïti. Entre fragilité de l’environnement, lois obsolètes, pauvreté, fragilité du système de santé publique, faiblesse des institutions, de sérieux obstacles se dressent devant l’exploitation minière. Selon une étude de l’université de la Californie, réalisée par Haiti Justice Initiative, entre décembre 2015 et avril 2016, titrée «Byen Konte, Mal Kalkile ? Les risques de l’exploitation de l’or pour les droits humains et l’environnement en Haïti», la capacité d’Haïti à gérer les risques des activités minières pour l’environnement est faible. « Pour un pays tropical comme Haïti, il importe de ne pas sous-estimer les risques liés aux effluents acides, à l’utilisation sur place de cyanure et au déversement de polluants dans l’environnement. Les conceptions minières en Haïti sont nichées dans les hauteurs du massif du Nord et les mines aurifères seraient la proie des précipitations lors de la saison des pluies », indique le document, rappelant que « chaque année, le risque de ruissellement des eaux, d’inondations et de débordements est aggravé par les risques importants d’ouragan et de séisme, deux phénomènes capables de provoquer des inondations soudaines ou la rupture des bassins de résidus ». « En fonction de l’emplacement des mines aurifères, la pollution issue des bassins de rétention, des morts-terrains ou des puits de mine pourrait contaminer certains des plus importants réseaux fluviaux du pays, dont les Trois-Rivières et la Grande-Rivière du Nord, qui coulent vers le Nord, et les rivières Guayamouc et Bouyaha qui s’écoulent vers le Sud pour se jeter dans le lac de Péligre et la rivière Artibonite », soutiennent les auteurs dans le document. Selon ces derniers, des compagnies minières étrangères ont investi des dizaines de millions de dollars américains dans la recherche de minerais d’or, de cuivre, d’argent et d’autres métaux dans le massif du Nord. « Des sociétés minières des Etats-Unis et du Canada, associées à leurs filiales ou leurs partenaires haïtiens, détiennent des permis de prospection, de recherche et d’exploitation couvrant à eux seuls plus de 3 000 kilomètres carrés », affirment les chercheurs. Des informations confirmées par les autorités locales. D’après le directeur général du Bureau des mines et de l’énergie (BME), l’ingénieur et géologue Claude Prépetit, « les gisements sont là, mais il n'y a pour l'instant aucune exploitation minière dans le pays ». « Cela fait huit ans qu'aucun investissement minier n'a été consenti dans le pays, à l'exception des carrières de sable », rappelle-t-il. Sous la présidence de Michel Martelly, en 2012, l'ancien directeur général du BME, l’ingénieur Ludner Remarais, avait accordé des permis d'exploitation minière aux sociétés qui avaient remporté des appels d'offres. Vu l’absence de débat public sur l’extraction minière et sur ce qui était perçu comme étant des irrégularités dans l’attribution des permis miniers, l’exploitation de gisements en Haïti a été suspendue depuis. Le Sénat haïtien a  alors adopté une résolution en 2013 en faveur d’un moratoire sur l’activité minière. L'exploitation des mines métalliques et ses conséquences Fondé en 2013, le Kolektif Jistis Min (KJM) – un regroupement d'organisations paysannes, syndicales et de défense de droits humains qui s'adonne à la sensibilisation et d'accompagnement des organisations communautaires dans les zones ciblées pour faire des exploitations minières ­–, fait ce travail avec des organisations communautaires dans les zones touchées. « Le travail de sensibilisation et d'accompagnement de la population se fait sur les dangers de l'exploitation minière, notamment des mines métalliques sur l'environnement et la santé », précise Frantz Lespérance, coordonnateur technique du Kolektif Jistis Min, soulignant que les mines métalliques se situent dans le grand Nord d’Haïti où des permis d’exploitation ont été accordés, suspendus par le Sénat. « L'exploitation des mines métalliques notamment n'utilise plus les mêmes méthodes qu'autrefois, fait remarquer Frantz Lespérance. Avant, on creusait des tunnels, à présent, vu la raréfaction des métaux dans les mines, on se penche pour les mines à ciel ouvert. Toute la couche superficielle est donc détruite pour creuser un cratère jusqu'à 500 mètres de profondeur. Haïti n'est pas un grand pays en termes de superficie, alors comment comprendre qu'on va creuser des mines d'environ 1 kilomètre de diamètre dans des zones montagneuses ? », se demande le technicien du KJM. « Pour extraire l'or, on utilise aussi des substances chimiques comme l'arsenic, le mercure qui sont très polluants, déplore Frantzy Lespérance. J'ai effectué une visite à Mémé que Sedren exploitait, j'ai vu qu'il y avait des drums métalliques qui contenaient du cyanure sur le site. L'eau qui est stockée dans un réservoir se mélange après chaque averse à l'eau de pluie. Elle tue les animaux qui la boivent. Dans cette zone, les habitants sont édentés. Ils ont perdu leurs dents d'après une étude de Claude Prépetit, laquelle montrait que l'eau était responsable de ce phénomène », avance le coordonnateur technique du Kolektif Jistis Min.   Selon ce dernier, pour l'exploitation des mines, il faut également beaucoup d'eau. « Les compagnies vont puiser cette eau dans la nappe phréatique. Alors cette activité aura des conséquences non seulement sur la santé des gens, mais aussi sur l'environnement et l'agriculture, car les sols et les eaux seront pollués par les produits chimiques », prévient Frantzy Lespérance. « L’exploitation aurifère moderne présente de multiples risques pour l’environnement et la population. En Haïti, ces risques sont exacerbés par la fragilité de l’environnement, la pauvreté, la précarité du système de santé publique, l’instabilité gouvernementale et l’inefficacité de la réglementation », ont soutenu les chercheurs de l’université de la Californie dans leur étude. Pour entrer dans une ère d'exploitation, il faut parallèlement mettre de l'ordre en vue d'avoir un Etat fort qui puisse forcer les compagnies à respecter leurs engagements notamment en termes de taxes à payer et du respect de l'environnement », soutient, de son côté, le directeur général du Bureau des mines et de l’énergie.  L'exploitation anarchique des carrières de sable... Outre les mines, l’exploitation des carrières de sable a de sérieuses conséquences sur l’environnement. « L’exploitation des carrières de sable de montagne est conduite en Haïti de façon anarchique et sauvage, dans le mépris total des règles techniques mêmes élémentaires », affirme le BME. Le KJM fait le même constat. « Les carrières de sable, jour après jour, se transforment en de véritables dangers pour la population. Laboule 12, Morne-à-Cabri, sur la route menant à Mirebalais, de même à l’Arcahaie ou à Cabaret, on peut voir la catastrophe que représentent ces carrières de sable », indique le KJM. « Malgré le danger que constituent ces exploitations, elle n'interpelle pas les autorités, critique Frantzy Lespérance. On peut se demander si les structures créées pour veiller sur les aires protégées ont vraiment leur raison d'être. Car au cours d'une journée on peut voir combien de camions qui dévalisent le Morne- à-Cabri malgré la décision de fermer ces mines et un poste avancé des agents de la Brigade de protection des aires protégées BSAP sur la route. » Le coordonnateur technique du KJM appelle le ministère de l'Environnement à jouer un « rôle proactif pour réglementer l’exploitation des carrières de sable. Et pour l’exploitation des mines métalliques, dont les mines aurifères, les risques sont nettement plus élevés pour Haïti, l’un des pays les plus vulnérables de la région en ce qui a trait à la gestion environnementale.» La grande part du budget annuel (moins de 20 millions de dollars américains) du ministère de l'Environnement sert à payer les salaires des employés et les frais de fonctionnement de l'institution. « Une éventuelle exploitation minière en Haïti serait très compliquée, soutient un cadre du Bureau des mines et de l'énergie. Le ministère de l'Environnement n'a pas la capacité de contraindre les compagnies d'exploitation à respecter les principes liés à la protection de l'environnement.»