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Le Nouvelliste

Les anciens sénateurs Sénatus et Latortue rafraichissent la mémoire du ministre de la Justice

Feb. 23, 2021, midnight

Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Me Rockfeller Vincent, a publié sur son compte Twitter avec la légende « devoir de mémoire » une note de presse à travers laquelle il affirmait que les noms des trois juges nommés à la Cour de cassation dans l’arrêté présidentiel en date du 11 février 2021 avait été « tous les trois tirés d’une liste soumise par le Sénat de la République en date du 30 août 2017 portant les signatures respectives de l’ancien président de la commission Justice et Sécurité monsieur Jean Renel Sénatus  et du président d’alors, Monsieur Youri Latortue ». Une copie d’une correspondance adressée en 2017 au président de la République Jovenel Moïse portant la signature du sénateur Youri Latortue ainsi que la liste des postulants retenus par le Sénat pour la Cour de cassation accompagnaient cette note de presse.  Suite à cette publication, l’ancien sénateur Jean-Renel Sénatus a dans la soirée même, soit le 19 février 2021, réagi à travers une autre note où il se dit choqué et a demandé « au ministre de facto de la Justice et de la Sécurité publique de se garder d’utiliser son nom à mauvais escient dans le but unique de légitimer cet acte inconstitutionnel, expression d’une velléité dictatoriale, posé par un citoyen sans titre droit ni qualité ». Intervenant à Panel Magik le lendemain, samedi 20 février 2021, l’ancien parlementaire est revenu sur les détails entourant la transmission de ces juges au président de la République dans le cadre du processus de nomination tracée par la Constitution. « Le président de la Cour de cassation d’alors, Me Jules Cantave nous avait écrit pour nous informer qu’il y avait six sièges vacants à la Cour de cassation. Nous avions lancé un appel à candidatures pour combler ces derniers. Une trentaine de personnes avaient postulé, mais après nos recherches et enquêtes de proximité dans les différentes juridictions, beaucoup ont été disqualifiées parce qu’elles ne répondaient pas aux exigences de la loi. Il ne nous restait donc assez de noms que pour combler quatre sièges. Nous avions donc envoyé une liste de 12 noms à raison de 3 candidats par siège au président d’alors Jovenel Moïse », a expliqué Me Sénatus. On comprend donc pourquoi la lettre que le sénateur Youri Latortue avait écrite au président Jovenel Moïse spécifiait « … en attendant qu’un autre appel à candidatures vienne compléter l'aréopage de la Haute Cour ».  « Le président avait choisi quatre juges à partir de cette liste communiquée par le Sénat en 2017 et donc nommé les magistrats Théogène Jean-Claude, Lebrun Jean-Joseph, Bellevue Sténio, et Dabrézil Yvickel Dieujuste à la Cour de cassation en 2019 », poursuit Me Sénatus, qui ajoute au passage que le mandat constitutionnel du président Moïse est arrivé à terme. « Lors même que le mandat de Jovenel Moïse ne serait pas arrivé à terme, il ne pourrait plus puiser de noms dans cette même liste qui est tombée de droit, parce que la Constitution a bien spécifié qu’il doit choisir un juge par siège sur une liste de trois. Il ne faut pas distinguer lorsque la loi ne distingue pas ». De son côté, l’ancien sénateur Youri Latortue, qui adhère aux explications de son ancien collègue, est intervenu à Panel Magik pour avancer que « les explications fournies par l’exécutif sont nulles et non avenues. La déclaration du ministre de la Justice ne vise qu’à faire de la diversion. Le mandat du président de la République est arrivé à terme, il ne peut donc agir ni prendre aucun arrêté par rapport au pouvoir judiciaire. Cependant, lors même qu’il aurait un mandat constitutionnel, cette décision serait quand même illégale. L’exécutif n’avait pas le droit de mettre les juges de la Cour de cassation à la retraite », ajoute-t-il, citant l’article 177 de la Constitution.  « Quelle est cette histoire de mettre des juges à la retraite ? L’inamovibilité est le principe sacré de l’indépendance du pouvoir judiciaire, et c’est la raison pour laquelle aucun membre du pouvoir exécutif ne devrait toucher au mandat des juges. D’autre part, depuis l’existence du CSPJ, lors même qu’un juge aurait été impliqué dans un cas d’indiscipline, c’est le CSPJ qui doit être saisi pour statuer sur son cas ». L’ancien président du Sénat, Youri Latortue, rappelle que si le président doit, en vertu de l’article 136 de la Constitution, veiller au respect et à l’exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions, il n’a cependant d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution comme le veut l’article 150.  La Constitution attribue le pouvoir disciplinaire des juges au CSPJ car elle dispose clairement à l’article : « L’administration et le contrôle du pouvoir judiciaire sont confiés à un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui exerce sur les magistrats un droit de surveillance et de discipline, et qui dispose d’un pouvoir général d’information et de recommandation sur l’état de la magistrature. Les conditions d’organisation et de fonctionnement du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire sont fixées par la loi. Le Président ne peut donc pas s’attribuer cette prérogative », confie l’ancien parlementaire, qui regrette que c’est parce que l’international a dénoncé cette intrusion de l’exécutif dans le pouvoir judiciaire que les autorités tentent de justifier.  « Il n’y a pas d’État de droit, comme le ministre veut le faire entendre.  Il y a violation flagrante de la Constitution, du principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire. La Cour de cassation est la plus haute instance du pouvoir judiciaire, on ne peut la toucher », lance l’ex-sénateur Latortue qui, dans sa note parue aussi après le tweet du ministre de la Justice Me Rockfeller Vincent, estime qu’une telle violation constitue un crime de haute trahison, nécessitant la mise en place de la Haute Cour de Justice.