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Le Nouvelliste

Livres en folie: "Haïti, PetroCaribe et ses déraisons...", selon Wilson Laleau

June 8, 2020, midnight

Le Nouvelliste: Présentez-vous aux participants à Livres en folie. Wilson Laleau: Je suis Wilson Laleau, diplômé en économie et en sciences politiques, professeur des universités et ancien ministre respectivement au ministère du Commerce et de l’Industrie et au ministère de l’Économie et des Finances. LN: Quel est le titre de l’ouvrage que vous allez présenter à la 26e édition de Livres en folie ? Quelle est sa catégorie ? Avez-vous d’autres titres ? WL: L’ouvrage que je présente est intitulé : « Haïti, PetroCaribe et ses déraisons. Manifeste pour une éthique de responsabilité. » Il peut être rangé dans la catégorie Mémoires. C’est le seul titre que je présente à cette 26e édition. LN: Pourriez-vous nous présenter votre plus récent ouvrage ? WL: Absolument. Depuis quelque temps, un dossier brûlant agite l’opinion publique concernant l’utilisation qui a été faite des ressources accumulées dans le cadre de l’accord PetroCaribe signé par un certain nombre de pays caribéens avec le Venezuela. Suivant cet accord, les pays-parties payent automatiquement en cash au Venezuela une portion des livraisons de produits pétroliers et conservent le reste dans un fonds destiné à financer des projets d’investissement remboursable sur un délai pouvant aller jusqu’à vingt-cinq ans. C’est le fonds PetroCaribe. Tel  un cheval de Troie, ce programme, depuis sa réception dans le pays, n’a fait que provoquer des désagréments. Le gouvernement sous le mandat duquel il a été lancé a été renvoyé par le Parlement, les noms de certains des ministres et hauts fonctionnaires ayant eu de près ou de loin à toucher à ce dossier ont été jetés en pâture à la vindicte populaire, sous prétexte de corruption ou de mauvais usage fait de ces ressources. Loin de se limiter à répondre à certaines attaques qui ciblent personnellement l’auteur, le livre propose une analyse lucide et sereine, jetant ainsi un éclairage nouveau qui réduit la part de confusion soigneusement entretenue sur ce dossier. Il fournit également des matériaux permettant à tous ceux, les jeunes en particulier, qui sont animés par la furieuse volonté d’enrayer la machine qui condamne le pays à la déchéance, de comprendre les raisons des échecs des politiques publiques depuis 1986 et de jeter les bases pour une société plus juste, plus digne et plus ambitieuse, en ligne avec la vocation historique de la nation. L’ouvrage offre un regard avisé sur les mécanismes de la décision publique, le plus souvent corrompus par un système politique non orienté vers la recherche du bien commun.  De manière spécifique, le propos de l’ouvrage est de partager avec le public, en particulier, les acteurs engagés résolument dans le changement politico-économique en Haïti, l’expérience de l’auteur des défis à relever pour atteindre les résultats escomptés dans un tel processus. C’est un ouvrage que tout homme politique, tout étudiant, tout chercheur, les partenaires du développement et tous ceux qui sont intéressés à comprendre les finances publiques haïtiennes, ou plus spécifiquement, les raisons des frustrations de la société après trente ans de politique économique et de coopération internationale en Haïti, devraient lire.   LN: Que pensez-vous de l’initiative d’organiser cette édition virtuelle de livres en folie ? WL: Livres en folie qui a été l’une des innovations majeures dans la promotion du livre en Haïti en plein milieu des années 90 - une période particulièrement difficile - continue d’anticiper et de marcher dans le sens du mouvement du temps. Les coutumiers de ce grand rendez-vous annuel sont aujourd’hui éparpillés à travers le monde et laCovid-19 sévissant, il est heureux et salutaire que l’institution se soit adaptée. Je dois en profiter pour féliciter les organisateurs ainsi que le Journal le Nouvelliste et la Unibank qui l’ont engendrée pour leur constance et leur persévérance à toujours maintenir l’activité contre vents et marées. Déjà l’année dernière comme depuis quelque temps, le festival s’était retrouvé très à l’étroit pour accommoder la multitude de visiteurs qui s’y pressent. L’invention de cette manière d’organiser cette année l’évènement va donner des idées aux promoteurs - il faut l’espérer - pour l’intégrer comme complément obligé en vue d’élargir les possibilités d’offre de titres et les capacités d’accueil. Cela va permettre à Livres en folie de ne plus être une activité de la capitale mais bien une fête à laquelle participent tous les amoureux du livre haïtien quel que soit où ils vivent à travers le territoire ou dans la diaspora.  LN: Vous êtes à combien de participations à livres en folie en tant qu’auteur ? En tant que visiteur ? WL: C’est la première fois en tant qu’auteur. Comme visiteur, je ne peux pas être précis. Je peux dire que je suis un assidu. Je rate cet évènement seulement quand je ne suis pas au pays à cette époque de l’année, c’est-à-dire, rarement.  LN: Merci de nous faire avoir un extrait de votre ouvrage. « L’instrumentalisation du dossier PetroCaribe s’est faite sur la base de contradictions si vertigineuses qui témoignent d’une ignorance tellement profonde des procédures en vigueur dans l’administration qu’elle prend valeur de symptôme. E. Kant  professait que l’hypocrisie sociale doit être combattue. Le philosophe allemand rappelle que le mensonge généralisé, banalisé, entraine la perversion mentale qui pousse les gens à confondre leurs rêves avec la réalité. Il considère que d’un point de vue moral, le mensonge est un mal parce qu’en donnant de fausses informations à une personne, on la manipule pour la porter à faire ce qu’elle n’aurait pas voulu faire si elle connaissait la réalité. C’est dans ce sens que le mouvement des pétro-challengers doit être encouragé. Pour forcer les institutions à faire émerger la vérité. Parce que pour moi, le projet politique moderne pour Haïti ne sera transformateur de la société que si et seulement si, il se construit autour de l’idéal de justice. Mais poser le problème en ces termes, c’est assumer de considérer l’État de droit comme une vertu, c’est se battre pour la mise en place de politiques publiques qui renforcent réellement l’autonomie du citoyen en lui garantissant les moyens de protéger sa dignité. C’est travailler à créer les conditions pour que de vraies entreprises puissent se développer partout à travers le territoire. C’est accompagner l’éclosion d’un véritable écosystème entrepreneurial capable de résister aux assauts de la concurrence déloyale étrangère. C’est s’assurer que le vrai entrepreneur trouve toute sa place dans l’économie pour créer de vraies richesses et des emplois qualifiés qui font tant besoin à ce pays. C’est éviter de céder à la tentation de la vénération et de l’admiration pour le riche et le puissant – qu’il soit un banal brasseur d’affaires, un simple agioteur, ou un petit malin expert de tous les trafics - au détriment de l’entrepreneur ou des personnes de conditions modestes. C’est fort justement contre cette attitude, qui est à la base de « la corruption de nos sentiments moraux », que nous met en garde A. Smith. C’est à ce travail que comme ministre, je m’étais appliqué. C’est ce défi que je m’étais engagé à relever ». LN: Vous avez un message pour les lecteurs qui prendront part à cette édition virtuelle ?  WL: Vous avez bien dit lecteur ? Que peut dire un auteur à un lecteur sinon que merci. Merci de valoriser l’événement mais surtout merci d’aimer le livre. Les sociétés qui ont le plus progressé - dans quel que soit le domaine - sont ceux qui ont réussi à bien exploiter les idées qui circulent à tout instant et partout. Malgré la multitude de médias disponibles aujourd’hui, il n’y a pas comme le livre pour bien préciser les idées, mettre les choses en perspective et permettre de faire l’expérience palpable de toutes les nuances, de tous les plis et de tous les replis d’un phénomène. Il faut espérer que chaque lecteur réussisse à contaminer un maximum de gens de son entourage de ce goût du livre et de la lecture à travers les clubs de lecture, les jeux mettant le livre en valeur.  Le mouvement qui révolutionnera vraiment Haïti donnera la première place au livre. Alors vive la Révolution ! Vive le Livre !