Le Nouvelliste
Henri Christophe et le palais de Sans-Souci : relecture d’un texte inédit d’Albert Mangones
Oct. 7, 2020, midnight
Par Patrick Delatour Architecte de monument 8 octobre 2020 8 octobre 1820 /8 octobre 1978 / 8 octobre 2020 « Nous voici donc rassemblés ici en ce matin du 8 octobre 1978 pour célébrer une date exceptionnelle de notre histoire. Il y a aujourd’hui 158 ans, dans ce palais de Sans Souci, encore intact dans ces structures architecturales et ses fonctions de résidence royale, un homme pesait l’ultime décision d’assurer en toute lucidité l’acte suprême de mettre fin à sa vie. Aux dernières lueurs de soleil de cette journée fatidique du 8 octobre 1820 Henri Christophe était déjà informé de l’effondrement de son pouvoir et du triomphe de l’insurrection du général duc du Royaume Jean–Pierre Richard, gouverneur du Cap-Henri. Vers 8 heures du soir, immobilisé dans sa chambre par la demi-paralysie qui l’avait terrassé deux mois plus tôt, dans l’église de Limonade, Christophe fit ses adieux à sa femme et à ses filles. Ensuite il procéda, avec l’aide d’un chambellan, à la toilette de son grand corps massif de lutteur, désormais rebelle à sa volonté et se fit habiller pour la dernière fois de ses vêtements de chef. Resté seul sur son siège, avec à portée de sa main valide un pistolet chargé, il médita encore quelques instants. Puis il se donna la mort. Une épopée sans précédent s’achevait, nous laissant la tâche de résoudre l’énigme d’un homme. Or, en cette même nuit du 8 octobre, pour obéir peut-être aux volontés dernières de ce titan tragique, sa veuve conduisit elle-même l’hallucinant cortège qui accompagna la pesante dépouille royale, dans une lente ascension nocturne, jusqu'à la Citadelle, prodigieuse sépulture à la mesure de l’héroïque démesure du plus étonnant de nos ancêtres. Depuis, désertés de l’énergie indomptable qui en avait inspiré l’harmonie des volumes, forteresse et palais s’estompèrent sous le voile des légendes, cependant que, sous les regards distraits de notre veule indifférence, les morsures cruelles de tous les reniements effritaient en silence les murs et fondements de ces nobles édifices. Cependant, après 157 longues années d’attente, pour la première fois, l’année dernière, le 8 octobre 1977, hommages et réparations solennelles furent rendus à la mémoire exemplaire de ce chef héroïque. Et voici qu’enfin, des arcanes entrouvertes de l’immortalité émerge lentement l’identité d’un homme, longtemps masqué par l’ombre de son rôle de monarque tragique, dont la mort brutale aurait interrompu les stances théâtrales d’un monologue hermétique ! Aujourd’hui, s’amorce enfin le décryptage du langage total de cet homme engagé dans une recherche passionnée de communication avec son peuple, pour la transmission du message bouleversant du drame éternel de TOUT L’HOMME. Cerné par les fatalités d’une époque tumultueuse, Christophe a su accepter jusqu’au bout de l’angoisse finale l’inévitabilité des conséquences ultimes du choix librement consenti de la lutte suprême avec l’Ange. L’homme est tombé. Mais c’est ici, en ces lieux où se dresse le témoignage forcené de sa fascination pour l’acte superbement humain de bâtir, malgré tout, contre tout, et pour des lendemains passionnément voulus éternels, passionnément voulus négation pathétique de toute destruction, négation tragique de la mort même et triomphe exaltant de la beauté, et de la vie, c’est ici, sur cette esplanade de lumière que s’est jouée la représentation exemplaire de la genèse du destin de la nation. Il y a aujourd’hui 12 mois, en prenant la décision d’engager son gouvernement dans l’action courageuse d’assumer la responsabilité de la restauration de ses étonnants monuments, non plus comme un geste symbolique de piété, mais pour y insuffler une vie nouvelle et fécondante, le président Jean-Claude Duvalier a fait acte d’homme d’Etat lucide et pénétré de la certitude qu’un peuple ne peut construire son futur, sans assumer la vérité de son passé : une nation sans mémoire ne saurait maitriser son avenir. Aussi, en ce jour de recueillement et d’hommage au souvenir, notre labeur de patience et de piété nous révèle, sous les vestiges retrouvés d’une royauté éphémère, la vérité d’un homme. Et puisqu’il est vrai que cet homme accepta, par le choix de sa mort, d’être un roi démuni, lui qui avait tout voulu ; et puisqu’il est vrai que son règne tragique fut mesuré à l’aune des petits hommes de raison de son temps, lui dont la vie fut grandiose déraison ; et puisqu’il est vrai qu’en déchiffrant patiemment sous les ruines émouvantes de ce palais, le sens de ses actes, c’est nous qui le ferons renaitre, transformé par l’ampleur révélée de son message ; alors, puisse, de ce peuple qu’il rêva de guider vers les cimes, jaillir un chœur de voix prophétiques, l’oraison funèbre trop longtemps refusée à son ombre tragique ! « Nous te saluons Henri Christophe ! Et voici : en ce jour de prodiges, ton corps lourd, engourdi dans la mort, frémit de nouveau et s’éveille parmi les bras multipliés et les torses tendus, les jambes infatigables de tes fils innombrables. Lève-toi Henry Christophe et marche, libéré à jamais des folies de la gloire, cette chimère des rois : Aujourd’hui, palais et forteresse qu’érigèrent tes hantises, débarrassés des pompes inutiles, dressent dans la lumière l’essentielle nudité de leur beauté muette et triomphante. Lève- toi, homme de vaillance, et franchis, sous les feux de l’histoire, le seuil de majesté auquel seul tu as droit, monarque légendaire de l’unique royaume incontestable que demeure le royaume inviolable des rêves profonds, des rêves secrets d’une nation en marche vers les rendez-vous d’un destin de libertés à découvrir, à conquérir et à modeler, à ta mesure ! Lève-toi Henri Christophe et que ton peuple réconcilié marche dans tes pas ! » En conclusion, dans l’introduction de son texte, Albert nous donne la tâche de résoudre l’énigme d’un homme, de retrouver dans les vestiges de son bâti la vérité de ses louables ambitions, de déchiffrer patiemment sous les ruines émouvantes de son palais le sens de ses actes et de conserver le royaume inviolable des rêves profonds, des rêves secrets, d’une nation en marche vers les rendez-vous d’un destin de liberté à découvrir, à conquérir et à modeler à sa mesure. Albert Mangones Milot 8 octobre 1978