Le Nouvelliste
L’action en récusation en masse
Dec. 11, 2019, midnight
Suicide procédural dans le dossier de l’État haïtien contre la SOGENER « La défense est un droit sacré », disait l’autre. Ce droit, plus sacré encore en matière pénale, est consacré par la Constitution haïtienne de 1987 en ses articles 26 et suivants, par la Convention américaine des droits de l’homme en ses articles 7 et suivants, par la magna carta de l’Angleterre de 1215, par le bill of right de 1689 du Royaume-Uni et par tant d’autres textes relatifs à l’habeas corpus. Le droit à la défense, nous apprend Gérard Faure-Kapper (écrivain, philosophe juriste et expert financier allemand, 1953) est un droit sacré et fondamental dont l’origine remonte au roi Salomon, il y a près de 3 000 ans. Le droit à la défense, c’est la base de toute justice, renchérit-il. Il est inscrit dans tous les textes. Il n’a quasiment jamais été bafoué, même si il a parfois été réduit au minimum, comme dans les lois de Prairial ou la charia. Le droit à la défense ne concerne pas que l’institution judiciaire. Il s’étend à tous les domaines. La loi de 1901 sur les associations le prévoit expressément en cas d’exclusion d’un membre. Le droit de la défense est garanti par la juridictionnalité des procès et les débats contradictoires eu égard au principe de l’égalité des armes et la communauté des pièces entre les parties. Le magistrat Wando SAINT-VILLIER, dans son livre LE DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE, deuxième édition, a écrit : « Traitant du droit à un procès équitable, cet ouvrage se limite seulement aux garanties judiciaires et aux droits reconnus aux personnes suspectées et poursuivies pour commission d’infractions pénales… Il s’agit d’un travail pédagogique consistant à présenter et à étudier les différentes normes et mécanismes institutionnels relatifs aux droits des personnes poursuivies dans une procédure pénale. Son but est d’attirer l’attention du lectorat sur l’importance du respect des garanties procédurales et des droits des accusés dans le procès pénal. Car on ne saurait parler de procès équitable sans le respect de ces principes. » L’un des droits de la défense est la RÉCUSATION La récusation, c’est quoi ? Selon le dictionnaire Media Dico, la récusation est l’action de récuser. Récuser, selon le même dictionnaire, c’est refuser un juge, un juré, un témoin que l’on soupçonne de partialité. C’est rejeter un témoin, un témoignage. Selon le dictionnaire Larousse récuser \ʁe.ky.ze\ transitif, c’est refuser de soumettre sa cause à la connaissance et à la décision d’un juge, parce qu’on a, ou qu’on croit avoir, des motifs de craindre qu’il soit partial. Récuser un juré. Se dit aussi à propos d’un témoin, d’un expert contre lequel on a des reproches à alléguer. Il récusa les témoins qu’on confrontait avec lui, les experts qu’on avait nommés. Se dit pareillement en parlant de toutes les personnes dont on rejette l’autorité ou le témoignage. Je récuse cet homme, il ne sait rien de l’affaire. Je le récuse en pareille matière, il n’y entend rien. Même en parlant d’un témoignage, d’une autorité. Je récuse votre témoignage. En fait, le Code de procédure civile, en ses articles 435 et suivants, traite des récusations de juges ou récusation en masse de tous les juges d’un tribunal ou d’une cour pour cause de suspicion légitime. Le dictionnaire juridique Dalloz définit la suspicion légitime comme étant une demande de renvoi, ou une demande de dessaisissement d’une chambre de la juridiction saisie lorsqu’une des parties fait valoir que les magistrats qui la composent, pris collectivement et non individuellement, font preuve ou risquent de faire preuve d’inimitié, d’impartialité ou d’animosité à son égard. Selon WIKIPEDIA, la suspicion légitime est, en droit processuel, un soupçon de partialité envers la juridiction saisie qui permet à la juridiction supérieure, à la demande d'une partie, de dessaisir la première et de renvoyer l'affaire à une autre juridiction de même nature, si le soupçon est fondé. En France, le renvoi pour cause de suspicion légitime est, depuis 1959, une « règle générale de procédure » et, à ce titre, ouvert même sans texte et qui ne peut être écarté que par une loi expresse. Devant les juridictions de l'ordre judiciaire, le renvoi pour cause de suspicion légitime est régi, en matière civile, par les articles 356 à 363 du Code de procédure civile et, en matière pénale, par l'article 662 du Code de procédure pénale. Devant les juridictions de l'ordre administratif, il est ouvert depuis 1957. Le Code de procédure civile haïtien, dans les articles susmentionnés, permet à un défendeur de récuser un juge ou un tribunal si et seulement s’il y a suspicion légitime. L’article 453 du Code de procédure civile, CPC, stipule et je cite : « La récusation de tous les juges d’un tribunal de paix, d’un tribunal civil, d’une cour d’appel équivaut à une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime. » L’arrêt du 8 octobre 1956 de la Cour de cassation de la République, avance que « la partie qui produit une demande en dessaisissement doit apporter à son appui, sinon des preuves directes, du moins des indices et des présomptions graves, des faits de nature à faire douter de l’impartialité des magistrats et susceptibles de justifier la suspicion légitime soulevée contre ce tribunal ». Les termes de récusation et de dessaisissement se confondent tant en matière civile qu'en matière pénale, le Code d’instruction criminelle (CIC), au bas de l'article 429, se trouve une jurisprudence (arrêt du 13 novembre 1848 de la Cour de cassation d’Haïti) qui parle de dessaisissement d’un tribunal correctionnel et criminel, ce qui voudrait bien dire qu’en matière pénale, il serait mieux de dire dessaisissement, et récusation en matière civile, mais plus tard, un autre arrêt de la Cour suprême de la République d’Haïti, arrêt du 11 août 1873, confirme que récusation et dessaisissement en matière civile ou en matière pénale sont la même chose. Pour reprendre Me Simon Saint-Plénat, du barreau des Gonaïves, le doyen du tribunal de première instance est le juge né des libertés, et donc ne peut être récusé, selon l’analyse de ce confrère, mais posons l’hypothèse que la suspicion légitime était vraie, il pourrait être récusé et un autre doyen d’une autre juridiction serait saisi par la Cour de cassation pour entendre cette affaire d’habeas corpus, mais là où le bas blesse, c’est qu’il n’y a pas vraiment de suspicion légitime, les avocats de l’État veulent tout simplement clouer le dossier parce qu’ils savent que LA COUR DE CASSATION DE LA RÉPUBLIQUE D’HAITI EST UNE COUR BANCALE QUI VA PASSER DES ANNÉES AVANT DE STATUER. Alors quand allons-nous avoir une Cour de cassation qui puisse traiter les affaires urgentes en urgence ? Il y a un arrêt, l’arrêt du 26 janvier 1970, une jurisprudence qui n’est pas une loi, de la Cour de cassation de la République d’Haïti, qui affirme : « Il est de principe que toute juridiction inférieure, première instance ou appel, doit surseoir à statuer sur la simple demande de récusation en masse dont elle n’est pas juge. Cette obligation devient encore plus impérieuse quand la Cour suprême s’est prononcée en accueillant la demande et en attribuant compétence à une autre juridiction. » Les avocats de l’État haïtien ont fait un grand faux pas, car s’ils laissaient l’affaire plaider, s’ils ne récusaient pas, le doyen leur aurait donné gain de cause comme il avait rendu en leur faveur une ordonnance gracieuse pour expulsion de lieux des Vorb…….rire…….on aura tout vu en Haïti ! « La justice haïtienne est devenue une pute aux yeux débandés », s’exclame tout le monde après cette fameuse ordonnance ! Malheureusement ! Comment comprendre ceci : ce même doyen qui vient à peine d'offrir une aubaine aux avocats de l’État haïtien, à savoir l’ordonnance gracieuse qui avait ce si grand pouvoir d’expulser des lieux, est récusé aujourd’hui ? De plus, le doyen pourrait statuer sur la demande de sursis des avocats de l’État haïtien puisque cette demande est tributaire du paiement contre reçu, par les demandeurs, d’une caution à la caisse de dépôt et de consignation de la Direction générale des impôts (DGI) à défaut duquel la demande de sursis aurait été refusée ; l’alinéa 6 de l’article 463 du Code procédure civile enjoint le tribunal récusé de vérifier si la caution a été payée, au cas elle n’aurait pas été payée, le tribunal ou la cour récusée pourrait statuer et ordonner la poursuite de l’audience, c'est-à-dire refuser de donner sursis. Ceci étant prouvé avec texte de lois, l’acte de récusation à lui seul ne peut vouloir dire sursis automatique, comme la grande majorité des basochiens le pense, il se peut que ce soit à tort que le doyen a fait droit à leur demande. L’arme a double tranchant de la récusation, hormis d’autres cas de figure, est que lorsque le récusant n’a pas pu prouver la suspicion légitime, il pourrait être poursuivi en justice au paiement d’une amende et instancié en dommages intérêts au profit du ou des magistrats récusés et dans ce cas où les avocats de l’État haïtien récusent pour rien, annulent les mandats d’amener par leur demande, ils mettent aussi l’État haïtien en danger de payer de grands dommages intérêts dans le cadre de ce dossier, ils doivent se faire assurer dans une riche compagnie d’assurance pour pouvoir payer les réparations puisque c’est pas le client qui fait la procédure et de fait puis de droit les erreurs procédurales sont sous la responsabilité directe des avocats procédant. Art 463 du CPC Celui dont la récusation visant un magistrat autre qu’un juge de paix aura été déclaré non admissible ou non recevable sera condamné par le même jugement ou arrêt à une amende cent gourdes au moins et de trois cents gourdes au plus. Il pourra, de plus, être actionné en dommages intérêts par le magistrat récusé, qui, dans ce cas, ne pourra demeurer juge des affaires de cette partie, le cautionnement prévu aux deux alinéas suivants sera restitué en cas d’admission de la demande. Dans tous les cas où la récusation est exercée contre tous les juges d’un tribunal à la fois, celui dont la récusation ainsi faite aura été déclarée non admissible et non recevable sera condamné à une amende qui ne sera moindre que de deux cents cinquante gourdes, sans excéder cinq cents gourdes. Aucune récusation, aucune demande de dessaisissement contre un juge, un tribunal ou une cour d’appel ou une section de la Cour de cassation ne sera accueillie si le demandeur ne produit, 48 heures après sa déclaration au greffe, un certificat de la caisse des dépôts et de consignation, attestant qu’il a versé un cautionnement de cinquante gourdes s’il s’agit d’un juge de paix ou d’un tribunal de paix de deux cents gourdes s’il s'agit d’un juge d’un tribunal civil ou de tous les juges de ce tribunal, de trois cents gourdes s’il s’agit d’un ou plusieurs juges de la cour d’appel; de cinq cents gourdes s’il s’agit d’un juge ou des juges d’une section de la Cour de cassation. Le montant de ce cautionnement sera acquis au Trésor et restera en ligne de compte en cas de condamnation à l’amande prévue par le présent article contre le récusant. De plus, le jugement ou l’arrêt qui aura prononcé des condamnations à l’amende en ordonnera le recouvrement par la contrainte par corps, dont la durée sera de trois à six mois. Il sera passé outre par le tribunal ou par la cour à toute demande de sursis basée sur une récusation ou une demande en dessaisissement, s’il n’est produite dans le délai prévu ci-dessus, et sans qu’il n'y ait lieu à aucune remise de cause, le certificat de la caisse des dépôts et de consignation attestant que le montant du cautionnement a été versé. L’inobservance de cette prescription donne lieu à prise à partie contre le ou les juges, suivant qu’il s’agit d’un tribunal civil ou d’une cour. En outre, les avocats de l’État sont demandeurs dans ce dossier et la jurisprudence interdit à tout demandeur de récuser. Le demandeur principal ne peut récuser au regard de l’arrêt du 4 juillet 2013 de la Cour de cassation de la République qui prescrit : « Attendu qu’en principe, il n’est pas permis à une partie demanderesse en référé sur exécution de produire une demande de récusation en masse des juges d’un tribunal pour contourner l’exécution d’une décision de justice. Ce qui équivaut à une renonciation à la demande de référé. » Oui ce texte concerne les demandes de référé sur exécution mais par ricochet on peut admettre que le demandeur principal, quel que soit son statut, ne peut récuser en masse. Les avocats de l’État (l’État haïtien même) sont demandeurs principaux. Alors, à cette phase où le doyen sursoit à statuer, ce que cherchaient les avocats de l’État pour clouer le dossier et laisser les mandats d’amener émis contre les membres de SOGENER debout, le dossier est effectivement cloué au pilori parce que, comme a dit mon confrère cité plus haut, si l’autre partie fait appel à cette décision du doyen, si décision écrite et motivée il y avait, la cour d’appel de Port-au-Prince pourrait statuer et faire ce que le doyen du tribunal de première instance de Port-au-Prince ne faisait pas, ou elle pourrait déclarer qu’elle est incompétente rationae materiae vu que la récusation est l’apanage de la Cour de cassation suivant la jurisprudence citée plus haut, ce qui peut retarder encore plus la décision sur les mandats d’amener, mais ces avocats ne pourront jamais, surtout dans le cadre de ce dossier, produire aucune demande devant cette même juridiction récusée, alors que les mandats d’amener émis contre les Vorbe et consorts sont illégaux et arbitraires à l’état actuel de la législation haïtienne qui veut que lorsqu’il n’y a pas de flagrant délit, le commissaire du gouvernement ne peut émettre des mandats. Le mandat d’amener est essentiellement l’œuvre du juge d’instruction. Ces mandats illégaux sont annulés par les avocats même qui les ont demandés par le sursis octroyé, car il faut, dans tous les cas de figure, attendre qu’une décision soit rendue pour savoir si les mandats peuvent être exécutés ou non, car ils étaient déjà attaqués par la saisine de la juridiction des libertés (article 7 de la Convention américaine relative aux droit de l’homme, alinéa 6). Ces mandats d’amener sont actuellement en chevauchement, ils sont en impasse et, en passant, il faut que tous les avocats prennent leur petit siège pour regarder quelle sera la prochaine action du doyen récusé dans cette affaire. Qui pis est, si l’on prend pour vraie la logique juridique et l’allégation de Me Guerby Blaise qui avance que les mandats d’amener ne peuvent plus être exécutés en opposition à Me Osner Févry qui croit que les mandats d’amener restent debout, on dira encore que les avocats de l’État travaillent contre l’État dans cette affaire, car le sursis de statuer est plus profitable aux demandeurs en habeas corpus que les défendeurs, car lorsque la pierre est lancée, elle doit percuter, hélas ! Me Guerby Blaise appellerait ça énième faux pas ! Enfin, la procédure de récusation d’un juge ou de tous les juges d’un tribunal ou d’une cour doit se faire si et seulement s’il y a suspicion légitime. La loi renchérit que cette suspicion légitime doit être prouvée. Je ne sais pas comment ils vont prouver que tous les juges du tribunal sont suspects d’impartialité, de haine, d’inimitié et d’animosité dans ce dossier. Alors. Je pourrais vous jurer mille fois que les avocats qui récusent le tribunal ne peuvent prouver aucune suspicion légitime contre les magistrats, il récusent justement parce que la procédure le leur permet et spécifiquement pour clouer le dossier mais malheureusement cette action tourne contre eux, car ils doivent eux aussi attendre que la Cour de cassation statue et, par cet acte, les avocats de l’État haïtien annulent eux-mêmes les mandats d’amener qu’ils ont commandés et si la demande est recevable, l’envoyer par-devant un autre doyen pour statuer ….. ça peut prendre des années, alors que, comme conséquence, ce tribunal récusé n’est plus leur tribunal, les juges peuvent dire qu’ils n’entendront plus jamais aucune affaire de ces avocats, parce que la récusation a un impact sur l’honneur, la crédibilité, la rectitude et l’impartialité des magistrats, sauf si la juridiction du tribunal de première Instance de Port-au-Prince, récusée, a le courage de reprendre la parole de Jésus-Christ: « Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font.»