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Le Nouvelliste

De l’argent, de l’argent frais, des idées, des idées neuves, pour Haïti

April 16, 2020, midnight

Quelle que soit l’issue de la crise engendrée par la pandémie de Covid-19, l’économie va payer le prix fort. Au niveau mondial comme en Haïti. Si les optimistes espèrent encore que la facture en vies fauchées sera la moins lourde possible en Haïti, il est évident que les conséquences économiques seront désastreuses dans tous les cas de figure. Elles pèsent déjà sur la vie quotidienne dans le pays même si le nombre de morts officiellement recensé est de trois et les patients ne dépassent pas cinquante.Officiellement.  C’est dans ce contexte de grandes incertitudes que le premier ministre Joseph Jouthe essaie d’écrire les lignes du budget national avec une année de retard. Ce qui aurait dû être fait à pareille époque l’an passé va être en débat dans les jours qui viennent. Certains observateurs se demandent déjà, plus de six mois après le lancement de l’exercice fiscal, s’il ne serait pas plus productif de mettre le paquet pour concocter le budget 2020-2021 au lieu de bricoler des prévisions pour 2019-2020, et ensuite penser à l’avenir. L’impossible multiplication des pains Le choix revient au premier ministre. Le pays aura deux budgets adoptés cette année, si tout va bien. Jouthe subit, depuis des mois, la pression des bailleurs de fonds qui s’arrachent les cheveux pour trouver comment travailler avec un pays qui ne peut même pas présenter un cadre budgétaire. Même pour la forme. Il leur doit un budget. Et voilà Jouthe, ancien ministre de l’Économie et des Finances avant d’être premier ministre, en passe de faire du beurre avec de l’eau. Le chef de gouvernement est entravé par des recettes en baisse du peyi lòk au lòk Covid, des aides internationales aux abonnés absents et une économie en décroissance continue depuis plus de trois ans. Impossible de réaliser en Haïti, en 2020, un miracle budgétaire avec si peu de pains et de poissons… Jouthe doit quand même concocter un budget pour tenter de faire repartir un pays qui a des fondamentaux en faiblesse, aucune réserve de ressources, une réputation désastreuse, un déficit de crédibilité et une incapacité avérée à bien gérer ses ressources, les dons et les prêts… un pays qui n’est capable ni de collecter des ressources fiscales et douanières à l’interne ni d’absorber les apports externes. Il a du travail.  Une commission d’économistes… Conscient de ce qui attend le pays en termes de difficultés, et après la bonne formule des commissions public-privé pour gérer le coronavirus, lundi, le président Jovenel Moïse a annoncé qu’une commission d’économistes va être montée pour réfléchir sur la reprise après la crise sanitaire. Pour la bataille du Covid-19, les dés sont déjà lancés. Les défenseurs d’Haïti sont en place. Le temps fera sortir la vérité de la pandémie dans quelques mois ou quelques années.  Pour l’économie, on parle de l'immédiat et d'un temps plus long. Tous les Haïtiens sont concernés par l'économie.  Mieux qu’une commission qui risque de se perdre dans mille visions, un économiste leader avec des propositions claires sur comment trouver de l’argent, beaucoup d’argent frais et de nouvelles idées serait plus efficace. Le pays a grand besoin d’un économiste, d’un planificateur, qui dévoilera une méthode pour mettre les hommes et femmes de ce pays au travail et créer de la valeur, de la croissance, de l’espoir, des perspectives d’avenir pour tous. Haïti, camion sans moteur Haïti est un camion convoité par plusieurs chauffeurs. Mais Haïti est un gros camion, au fond d’un trou, suspendu sur des crics hydrauliques, depuis des années. Il lui faut visiblement des pneus neufs, beaucoup de pneus neufs, mais aussi un moteur, tout ce qui va avec, un itinéraire et tout ce qu’il faut pour devenir alléchant. En gros, il nous faut miser sur un projet qui n’est aucun de ceux que nous avons essayés ces dernières décennies. Un projet qui ne sera pas celui d’un premier ministre ou d’un président, un projet qui survivra à la prochaine élection, qui s’inscrira dans la durée. Pour sortir du trou profond où se trouve le camion Haïti, il faudra de l’argent, de la volonté, mais surtout des idées neuves, de nouvelles ambitions et de meilleures méthodes. Les chauffeurs ne sont pas en manque. Tout le reste oui.  Faire des choix Haïti doit comprendre en 2020, en plus de la crise Covid-19, que le défi à relever est d’empêcher d’entrer dans le territoire de la misère ceux, de plus en plus pauvres, qui composent la majorité de sa population. On ne peut pas continuer à produire de la pauvreté. Il faut changer cet affreux contrat social. Si demain Haïti parie sur la sous-traitance, faisons-le massivement. Si on joue notre avenir sur l’agriculture, augmentons largement la mise. Si on s’engage dans la construction, finançons vraiment la construction. Si on y va pour les infrastructures, faisons-le massivement. Si la consommation et l’équipement des ménages sont retenus, allons-y à fond. Si on donne de la place au secteur privé et un accompagnement avec des garanties publiques, ne lésinons pas là-dessus. Si le tourisme nous intéresse, optons pour des choix clairs. Si on veut plus de recettes pour l’État, occupons-nous de nos frontières et des taxes internes non perçues. Si on réessaye les industries de substitution, ajustons toutes nos politiques. Si on laisse la gourde se déprécier pour nous acheter une compétitivité, disons-le franchement. Si nous passons par bailleurs de fonds et pays amis, préparons un argumentaire solide pour nos amis et nos créanciers. Si nous voulons un pays plus solidaire, des hôpitaux en ordre de nous soigner, un vrai bouclier sécuritaire, un système de santé plus solide, l’éducation de qualité à tous les échelons, de la nourriture dans le maximum d’assiettes, il faudra travailler dur, tous. Dans les prochaines années. Par le kalbendaj habituel.  En un mot, faisons des choix. Cohérents, articulés, calculés. Et mettons le prix de la réussite.  Rêvons maintenant Les expériences du passé l’ont prouvé mille fois, le salut ne viendra pas d’ailleurs. Les riches d’ici doivent devenir plus riches pour que les pauvres d’ici soient moins pauvres. C’est un pacte que le pays doit signer entre ses fils et filles. Des pactes similaires ont permis à d’autres pays de construire, d’édifier, d’inventer des sociétés plus fortes. Il faut des garanties pour tous et de l’espoir pour tous. Si on y va, allons-y. Plus que des milliards allongés sur du papier pour en faire un budget, en ces temps de coronavirus il faut écrire le rêve haïtien des lendemains meilleurs. Cela passera inévitablement par plus de contrôles, par des sanctions sévères pour ceux qui se détournent du droit chemin, par de nouvelles façons de faire. Avec de nouvelles compétences et beaucoup de moyens. Il faut rêver maintenant. L’après-Covid sera dans les pleurs, si le bilan est catastrophique, ou dans l’euphorie, si l’alerte a été vaine. Il faut préparer demain maintenant car demain sera de toute façon chaotique, les besoins immenses. Frantz Duval