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Le Nouvelliste

« Pays lock » bis

April 6, 2020, midnight

Par Pierre-Raymond DUMAS Faisons rapidement la comparaison entre la terrifiante période/ opération « pays lock » orchestrée de façon permanente par une opposition déchaînée et le confinement relatif/progressif suscité depuis jeudi dernier après le discours présidentiel annonçant les premières mesures pour affronter le coronavirus dont la fermeture des écoles et le couvre-feu de 8 h du soir à 5 h du matin. De plus en plus de commerces ont cessé d’ouvrir. Près de 90%, voire plus de l’économie et de l’ensemble des activités vitales d’Haïti étaient à l’arrêt notamment dans la zone métropolitaine et dans la plupart des chefs-lieux départementaux entre fin août et novembre 2019. Cette première salve contre le président Jovenel Moïse, victime de sa fougue de nouveau venu et de sa volonté déclarée de changement, allait inaugurer une longue et effroyable période de blocage des rues et d’agitation sur fond de reddition des comptes concernant les fonds PetroCaribe. C’était du jamais-vu en temps de paix depuis 1986. L’électrochoc avait commencé en juillet (6 - 7 - 8) 2018 : ces manifestations accompagnées de violences et de pillages entraînèrent la démission le 14 juillet 2018 du Premier ministre Jacques Guy Lafontant qui avait cautionné l’augmentation forte du prix des carburants. Pris dans un tourbillon épouvantable auquel il ne pouvait pas résister, ce dernier sera remplacé par Jean-Henry Céant qui sera lui-même évincé le 18 mars 2019 par les députés six mois après son investiture (17 septembre 2018) à la suite de violents mouvements de protestations pour exiger le départ du président Jovenel Moïse : en février 2019 pendant environ onze jours, toutes les activités ont été paralysées à Port-au-Prince et dans la plupart des villes de provinces. Atmosphère de fin de monde. Ponctué par des manifestations d’une extrême vitalité et des tensions à répétition, grimaçant et insipide, le décor ne changera pas avec les deux remplaçants de Jean-Henry Céant : ni le ministre de la Culture et de la Communication Jean Michel Lapin (nommé d’abord Premier ministre par intérim le 21 mars 2019 puis le 9 avril il est chargé de former un gouvernement) ni Fritz-William Michel (désigné le 22 juillet 2019 pour succéder à ce dernier après sa démission le 22 juillet 2019) n’auront l’approbation des deux chambres. Sur fond de surenchère médiatique et d’insécurité galopante, le pays fait face, il ne faut pas hésiter à le répéter, à un climat d’agitation constante, à une sorte de guerre civile qui ne dit pas son nom. Sauf qu’une nouvelle fois, on aborde une crise spectaculaire, totalement dévastatrice à cause de l’implication de groupes économiques puissants, avec les outils des crises précédentes et des acteurs politiques aussi bien vieillissants que novices. Il y a de quoi désespérer. Ces comportements destructeurs ne doivent évidemment pas préjuger de l’état d’esprit général du pays. Comme toujours, c’est un gaspillage terrible de temps et de ressources humaines et matérielles qui compromet l’avenir. Notre avenir, celui de nos enfants en fin de compte. Quel gâchis ! Quelle catastrophe en somme ! Jean Michel Lapin, technicien dévoué et loyal, ne parviendra pas en deux occasions à faire approuver son équipe gouvernementale au Sénat mais il restera en place parce que Fritz-William Michel, ayant obtenu le 4 septembre 2019 la confiance de la Chambre des députés, n’est cependant pas ratifié par les Sénateurs dont les actes horripilants pour certains et belliqueux pour d’autres posés publiquement par quatre d’entre eux sont encore gravés dans toutes les mémoires. Il y a de quoi se mettre en colère. La nation dans son ensemble, déjà si appauvrie et meurtrie par tant d’années de crises à répétition, doit-elle devenir l’otage d’opposants et d’aspirant-dirigeants qui auraient ainsi fait preuve d’aveuglément plutôt que de sens patriotique ? Il faut attendre la fin de la législature de la Chambre des députés et le départ houleux ou forcé (c’est selon) des deux-tiers du Sénat pour voir Joseph Jouthe, le ministre de l’Environnement démissionnaire du gouvernement de Jean-Henry Céant qui n’était pas reconduit/repêché par le Premier ministre nommé Fritz-William Michel (qui a remis sa démission le 2 mars à Jovenel Moïse) et ministre de l’Economie et des Finances (intérim) en remplacement de Ronald Décembre le 30 septembre 2019, accéder à la tête de la Primature le 4 mars 2020 après avoir été nommé le 2 mars en dehors d’un accord politique (relatif notamment à la réforme constitutionnelle et à l’organisation des prochaines élections) et installer son gouvernement le 4 mars dans  des conditions extrêmement compliquées. Le Parlement qui n’a jamais approuvé le projet de loi électorale et cette opposition radicale sont certainement responsables en grande partie de la formation de ce gouvernement de facto et la gouvernance par décret qui s’ensuit automatiquement. C’est un pays absolument exsangue à tous les niveaux, ruiné par toute une série de crises et de luttes intestines, sans moyens adéquats, qui va devoir affronter les méfaits de cette crise sanitaire inédite qu’induit la pandémie de Covid-19. Alors que le « pays lock » était un confinement provoqué délibérément pour des raisons bassement matérielles avant tout, ce qui vient, comme dans le reste du monde, s’apparente à un confinement inéluctable et aucun horizon d’espoir ou de quiétude ne semble en réalité se profiler pour le moment. Ce n’est pas gagné, surtout pour un pays aussi pauvre et clivé comme le nôtre, si dépendant du secteur informel (parce que bon nombre de nos compatriotes gagnent leur vie dans la rue). Un large secteur informel privé de tout autre moyen de survie. Et dont le désespoir pourrait déboucher sur des émeutes de la faim. On ne peut qu’y voir le début d’un plongeon dans l’inconnu qui n’a pas de limites.