Le Nouvelliste
Evelyne Sincère: kidnappée, torturée, assassinée et abandonnée dans une décharge à ordures
Nov. 3, 2020, midnight
Aux premières heures de la matinée du dimanche 1er novembre 2020, la famille d’Evelyne Sincère, 22 ans, a reçu un appel ayant eu l’effet d’un tremblement de terre. Au téléphone, le ravisseur - quatre jours après le kidnapping d’Evelyne, jeudi 29 octobre, au dernier jour des examens de la philo, et après d’âpres négociations pour sa libération - a indiqué le lieu où le cadavre a été balancé. C’est à Delmas 24, dans une décharge qu’Evelyne Sincère, presque nue, a été retrouvée par sa sœur Enette Sincère et le juge de paix suppléant de Delmas, Jean Flaury Raymond. « Elle a été battue à mort », a confié au Nouvelliste le juge de paix. Particulièrement troublé, le magistrat souligne avoir relevé des ecchymoses au niveau du bras gauche, du dos, des fesses de la jeune fille. Elle a été battue au niveau de la plante de son pied droit. « Son vagin était enflé », a poursuivi Jean Flaury Raymond, qui n’écarte pas l’hypothèse de viol à répétition d’Evelyne Sincère. Sur les lieux, la sœur de la victime, Enette Sincère, dévastée, fait le récit de ses conversations avec les kidnappeurs qui ont exigé 100 000 dollars avant d’accepter 15 000 gourdes. « Il a appelé pour dire qu’il n’attendrait pas lundi parce qu’il n'y a pas de place », a expliqué Enette Sincère, qui n’en finissait pas de répéter à des journalistes qu’elle avait intercédé, « demandé grâce pour sa seule petite sœur, sa princesse ». « J’ai demandé grâce et indiqué que j’apporterais l’argent après avoir fait des pirouettes », a expliqué Enette Sincère. Elle est revenue sur cette dernière conversation avec sa sœur, elle l'avait rassuré qu’elle ferait tout pour rassembler l’argent. « On m'a dit qu’elle a été chez un gars qui l’a saoulée », a confié Enette Sincère dans une vidéo devenue virale sur la Toile. Evelyne Sincère, 22 ans, grands yeux noirs, lèvres charnues, est une autre belle jeune femme ayant connu une fin tragique. En novembre 2006, Farah Kerbie Dessources, 20 ans, en terminale, elle aussi, a été kidnappée, torturée et assassinée. Les ravisseurs avaient dit à sa mère où retrouver le cadavre à Santo 3. Ses yeux avaient été crevés « Ou te mete twòp moun sou dosye a, ou te avèti la polis, men nou vide l atè pou ou nan Santo 3 », avait dit l’un des kidnappeurs à la mère de Farah Kerbie Dessources. Deux des kidnappeurs avaient été appréhendés par la suite. D’autres cas emblématiques… En décembre 2015, malgré le versement d’une rançon de 50 000 dollars, les ravisseurs de Lencie S. Mirville, 23 ans, l’ont torturée, assassinée et ont balancé son cadavre dans un ravin, sur la route de l’Amitié. Sur son visage, il y avait des bleus et sur ses lèvres des traces de sang. On l'a retrouvée avec un bras fracturé. Aucune perforation n’a été relevée sur son corps. Autour du cou, on a retrouvé ce qui ressemble à un chemisier. Il était noué comme s’il servait à la fois de bâillon et de bandage pour les yeux de la jeune femme, étudiante en agronomie à l’Université Quisqueya, membre du comité de jeunesse dans son église, animatrice de l’école du dimanche à la MEBSH. La police et la justice avaient procédé à l’arrestation d’un mécanicien que la famille connaissait. Ces dernières semaines, les cas de kidnapping se sont multipliés. Avant celui à l’issue funeste d’Evelyne Sincère, plusieurs cas ont été signalés. Wolf Hall, propriétaire de Titi Lotto, enlevé par des bandits armés à la ruelle Alerte, a été libéré après plusieurs jours de séquestration aux ordres du chef de gang nommé Ti Lapli, membre de G-9, un regroupement de gangs. L’ex-footballeur international haïtien Johnny Descollines, un jeune médecin et son ami ont été séquestrés, après avoir été kidnappés à Delmas 33, le 21 octobre, vers 3 heures du matin par des hommes lourdement armés, en uniforme de police, circulant à bord d’une Nissan. Le 9 octobre 2020, vers 2 heures de l’après-midi, Marthe Romulus, 37 ans, au moment de faire la navette entre l’ancien et le nouveau local de l’entreprise d’import/export pour laquelle elle travaille, confie avoir a été interceptée ainsi que le chauffeur de son patron par six hommes lourdement armés portant l’uniforme de l’USGPN, à la rue des Miracles. Elle et le conducteur du véhicule ont été kidnappés et libérés après. C’est sur son compte Facebook que Polyana Domond a appelé les ravisseurs à libérer son oncle, Deslouis Domond. « Mon oncle est un entrepreneur qui crée des emplois. Nous demandons aux ravisseurs de le relâcher. Li genyen biznis li nan rue des Miracles. Donc BBQ ou nèg Bèlè yo lage l pou nou souple », a écrit Dumond Polyana. Entre-temps, le Binuh a partagé des données sur les enlèvements. « Après avoir diminué régulièrement depuis mars pour atteindre une moyenne mensuelle de 3,5, le nombre d’enlèvements est passé à 19 en juillet, les gangs étant retournés à des activités plus lucratives après des semaines d’intenses négociations et d’affrontements. Au total, 32 personnes (dont 9 femmes et 3 enfants) ont été enlevées, contre 25 au cours des trois mois précédents (dont 7 femmes et 7 enfants), ce qui représente une augmentation de 28 % », avait indiqué le dernier rapport des Nations unies sur Haïti. Roberson Alphonse