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Le Nouvelliste

In Memoriam René Zaugg: 1938 - 2020

Jan. 29, 2021, midnight

C’est avec émotion et tristesse que nous avons appris le décès subit de Monsieur René Zaugg, qui fut professeur au Nouveau Collège Bird de 1960 à 1967 et responsable de la section secondaire. Il était accompagné alors de son épouse, responsable de l’internat du NCB puis enseignante en classe pré-technique. Ils accueilleront deux fils durant ces années-là. Partis pour un congé en été 1967, ils apprendront que leurs collaborateurs suisses devront se retirer d'Haïti dès la fin de la même année.Le couple accepte alors un engagement au Rwanda. René Zaugg y sera directeur du Collège Officiel de Kigali jusqu'en 1970. De retour en Suisse, les fils poursuivront leurs études et l'aîné, Bernard, muni de son diplôme d'agronome en 1986, revient à sa terre natale" Haïti, intéressé aux problèmes de développement rural. De leur côté, René et Claire-Lise s'engagent de nouveau pour Haïti et fondent en Suisse, avec d’autres, l’association " Kombit" qui devient partenaire du " Gramir" (Groupe de recherches et d'appui au milieu rural). Ce nouvel engagement les ramènera souvent sur nos rives. D'ailleurs, le fils Bernard épouse une Haïtienne et certains d'entre nous ont rencontré leurs enfants : Cécile et Jonathan, qui n'ont regagné la Suisse qu'en 2015. Le travail du Gramir et le partenariat avec Kombit se poursuivent jusqu’à date. Notons de plus que le couple s'engage très activement dès 1992 à la Fondation Devoir de Mémoire (DDM) qui, au service funéraire, écrira à son sujet:“un vrai et grand ami d'Haïti est parti. un témoin en première loge de notre passé tragique s'est éteint Un pilier du soutien à notre pays n'est plus . Haïti a perdu un poto mitan “ En témoignage de la reconnaissance et de l’appréciation de ses anciens élèves du Nouveau Collège Bird ( NCB ), nous souhaitons partager les remarques suivantes à la mémoire de René Zaugg : « En ce qui concerne M. Zaugg, mes souvenirs sont vagues mais je peux dire qu’il fut un professeur respectueux, aimable et compétent. Il y a si longtemps! »            Maryse Pierre Louis ( 1964 - 1967) « J'ai de bons souvenirs de Monsieur Zaugg, comme professeur de français - C'était un homme d'une grande courtoisie. »  Michèle Moraille Chassagne ( 1962 - 1970) « Je me rappelle bien M. Zaugg. Quand il voulait avoir le silence de la classe, il baissait la voix, méthode que j’ai adoptée quand je faisais une présentation. Qu’il repose en paix. » Odile Laurence Prospère ( 1960 - 1963). « Monsieur Zaugg, notre professeur au Collège Bird était un peu réservé, mais toujours ouvert aux questions. Paix à son âme! »  Dr Ronald Merceron ( 1962 - 1970 ) « Je me souviens très bien de M. Zaugg. Il a été notre professeur de littérature française en 4e. Il nous a introduit au Moyen Age : « La chanson de Roland ». « La Ballade des pendus » « Gargantua ». Ce cher M. Zaugg ! Un jour en cours, Katheline Oriol et moi jouions à " Ti point ti croix ", car nous n'étions pas très intéressées à déchiffrer ce texte en ancien français. Il n'a rien dit. Au son de la cloche, midi trente, l'heure de la sortie, il nous a envoyées faire des réglettes en classe de 13e. Nous avons pioché toutes les deux sans y parvenir . Une demi-heure plus tard, il nous libérait, tout en souriant devant notre consternation, après avoir remis les pièces dans la boîte lui-même... J’ai eu le plaisir de rencontrer sa petite fille Cécille Zaugg, il y a une quinzaine d’années. J’ai été surprise d'apprendre alors que son père avait épousé une Haïtienne et était revenu au pays. Viviane Powell Vorbe (1960-1969) « J'ai appris la nouvelle du décès récent de M. Zaugg, avec tristesse. Je garde un excellent souvenir de son dévouement à sa tâche professorale. Nous avons été bénis d'avoir eu ces professeurs suisses accompagnés de leurs familles respectives qui donnaient tant d'eux-mêmes à notre école et à leurs élèves . Pour toujours reconnaissante.» Gislaine Lüdecke Oriol (1960-1963) « Comment ne pas se souvenir de ce couple de professeurs qui a quitté son pays à un si jeune âge, pour venir nous prêter main-forte dans le domaine de l'éducation .  Aujourd'hui, avec le départ du professeur René Zaugg, on aurait tendance à dire : " Acta est fabula" comme l'empereur Auguste sur son lit de mort. Mais après ce qu'il nous a légué comme bagage intellectuel et comme connaissances, son souvenir perdurera à travers ses oeuvres. Merci encore cher professeur et bon voyage ! Reposez en paix .» Gerly Suréna ( 960-1970) « À l'annonce de son décès, cet homme que j’ai connu est revenu si fort dans mes pensées, que j’ai décidé de les partager. Tout d’abord, je prie de transmettre mes sincères condoléances à sa femme et autres membres de sa famille, auxquels on fera parvenir ce message qui exprimera mon admiration et ma gratitude envers leur bien-aimé qui n’est plus. Dès la rentrée en 1960, date de la création de cet établissement scolaire, René Zaugg fut mon professeur titulaire au Nouveau Collège Bird (NCB). Donc de la classe de quatrième jusqu’à la seconde. Il fut de plus mon professeur de français et de latin. Je garde vifs en ma mémoire tant de moments de cette période de ma vie ! et tant d'enseignements qui m’ont par la suite servi de guide! D’abord je dois dire qu’avant le NCB, j’étais un élève plus qu’indifférent à l’éducation scolaire, et ceci depuis mes premières classes à Jérémie, jusqu’à mes deux premières années à Port-au-Prince . Je détestais l’école et la raison était assez simple, mais ce n'est que bien plus tard que je suis arrivé  à la saisir : la valeur principale que je retenais de l’appareil éducatif en Haïti était surtout la primauté du pouvoir, donc l’autorité, arbitraire ou pas, de celui ou celle en charge, à un niveau quelconque de la société. Cependant, dès les premiers jours au NCB, je partageais avec plusieurs condisciples l’observation que le « climat » y était bien différent de celui auquel nous étions tous habitués. Cette ambiance se révélait d’abord dans le ton de la voix du corps enseignant suisse. Pour moi, après ce passage vieux de 60 ans, c’est la voix de René Zaugg que, sans vouloir généraliser, je prête aussi à ses collègues. Telle est la réalité que je retiens, un timbre qui ne cherchait pas à dominer, à mater, à humilier l’élève, à s’en moquer; mais plutôt à l’entendre, le comprendre, l’inviter à l’analyse, au travail en équipe et à l’effort individuel. En effet, l'atmosphère avait changé -- l’estime de tout individu et le respect mutuel étaient dès lors des valeurs qui primaient, et qui s’appliquaient même au professeur pour favoriser l’enseignement et la passion de l’apprentissage. Ayant eu le privilège de visionner le service funèbre tenu au début de ce mois de janvier en l’honneur de René Zaugg à Genève, j'ai retenu que nul parmi les intervenants n’a mentionné le séjour de trois ans de René Zaugg en Haïti, mais tout ce que j’ai entendu dire de sa personne s’accorde avec l’homme que j’ai connu, et auquel je sens que je dois tant ! D'entendre parler de son affinité pour le travail manuel  m’a fait repenser immédiatement à la table de ping-pong qu’il nous avait guidé à construire. Cette table, installée dans notre grande salle de classe,  se prêtait à une compétition acharnée parmi les condisciples, pendant les moments de loisir ! Je parlais plus haut des enseignements qui m’ont marqué et qui m’ont servi de guide dans ma vie. Permettez-moi de rappeler l’un d’entre eux dans le domaine de l’éthique. Je maîtrisais assez avantageusement le latin au NCB. Avance que j’attribue aux leçons particulières que mon père, grand latiniste, insistait à nous donner des années auparavant. Au premier trimestre de l’année scolaire en quatrième, la classe devait faire face, en examen, à une version latine. Deux condisciples, plutôt limités sur le sujet, me faisaient signe de leur venir en aide, et par amitié, j’ai discrètement arrangé mon travail pour qu’ils puissent le lire. Peu de temps après, nous étions, les trois, convoqués à la direction et confrontés à la tricherie qui était la nôtre. Ma tentative de me déculpabiliser en me séparant des autres, ayant fait mon travail seul et n'ayant copié celui d’aucun autre, ne marcha pas: Nous étions tous coupables et devions subir les mêmes démérites. Ce fut une leçon en responsabilité individuelle et collective jamais oubliée de ma part.  Deux ans plus tard, en seconde, l'effectif au cours de latin était fort réduit– nous n’étions plus que cinq élèves, mais qui voulions y être et participer ! Nous étions parvenus au Sixième Livre de L’Enéïde de Virgile :  La Descente aux Enfers. Nous avions déjà compris,  que ce poème épique qui raconte la saga d’Enée pour atteindre finalement le Lavinium, était écrit à double sens : Mise en garde ou justification?... La quête du pouvoir d’Auguste et son ambition de conquérir le monde faisaient de Rome un empire, et dès lors méconnaissable comme république. Ce récit épique qui chante le drame humain initie la littérature occidentale. Or, nous étions déjà au mois d’avril 1963... Rappelons ici pour l'histoire l'arrêt abrupt des cours, suite à une attaque aux armes à feu qui visait les enfants du président François Duvalier. Ainsi donc, la traversée de l’Enéide s’arrêtait soudainement, inachevée, par suite des évènements à la barrière d’entrée du collège. Les parcours que nous suivions  comme enseignants et élèves s’arrêtaient, inachevés, pour certains, qui comme moi furent obligés de partir cette année-là . On se séparait pour de bon, sans même pouvoir se dire « au revoir » et «  merci ». Avions-nous fait le bon travail attendu qu’auraient révélé les résultats scolaires ?... Des années et des années plus tard j’ai pu rencontrer Zaugg à deux reprises. La rencontre qui me reste inoubliable fut celle d'août 1988. En transit avec ma petite famille à Genève j'eus le plaisir de revoir un groupe de nos professeurs suisses. M. Zaugg était du nombre . Quelle joie de les revoir tous ! une grande partie de la conversation tournait autour d'Haïti, de leur présence d'alors et de la situation actuelle au pays. En effet, Leslie Manigat, leur ancien collègue et mon " illustre" professeur d'histoire, était déchu récemment de la présidence,  par les militaires qui n'avaient jamais lâché les rênes.  Le politologue par excellence du pays avait fait preuve d'opportunisme, se croyant plus malin que ces maudits généraux. L'intérêt que ces Suisses gardaient pour Haïti, qui les avait tous marqués, était resté vivace . Quoique certains d'entre eux, tels les Zaugg, étaient repartis travailler par la suite, dans d'autres pays, ces expériences faisaient pâle figure par comparaison avec celles d'Haïti. La plus récente de nos rencontres date de mai 2000. Nous nous trouvions par pure coïncidence en Haïti, mandatés par nos organismes respectifs, comme observateurs internationaux aux élections parlementaires. J’étais leader d’une équipe d’observateurs qui couvraient le Nord-Ouest du pays, et Zaugg était, je crois, au Plateau central. En route vers Port-au-Prince, le travail sur place terminé, je consultais la liste générale des observateurs quand, à ma grande joie, j’ai lu son nom et un numéro de téléphone qui lui était attribué. Tout de suite, j’ai pris contact avec lui et nous nous sommes arrangés pour une rencontre dans la zone des Gonaïves. Je fus très content de le voir et de lui exprimer mon appréciation pour le dévouement dont il faisait preuve envers Haïti,  après tant d’années où la situation avait tant de fois mal tourné. La poussière du chemin et les  véhicules qui filaient à grande vitesse ne permirent pas de revoir  nos passés respectifs ; juste un bref échange quant à nos observations sur les élections qui venaient d’avoir lieu. On se sépara alors avec l’espoir de se revoir. Aujourd'hui, je repense encore à ce remarquable professeur admettant combien son fils aîné contribuait désormais à sa "conscientisation" quant aux problèmes d'Haïti. Zaugg disait même avoir "mûri" grâce à son fils. Né en Haïti au début des années 60, ce fils y  reviendra adulte et agronome, vingt ans plus tard. Il y travaille sous l'égide d'une ONG orientée vers le secteur rural et ses contraintes.  Il appartiendra au fils d'expliquer alors à son père les réalités sociopolitiques du pays. Et René Zaugg était encore et toujours prêt à apprendre, à comprendre . " Non Scholae, sed vitae discimus." “ Robert Boncy (1960- 1963) « De ces années passées au NCB, ce qui revient tout de suite à ma mémoire, est l'étrange calme de ce jeune professeur discret, qui, sans élever la voix, domina et rassura plus d'une vingtaine d'élèves terrifiés, excités de voir suspendus les deux phallanges de Jacqueline qui venait de se couper un doigt par inadvertance à l'aide de son petit couteau de reliure ! Par ailleurs et depuis je ne peux que remercier Dieu pour l'indéfectible amitié qui nous a liés lui, sa femme et moi. Que Claire-Lise et ses enfants trouvent ici l'expression de ma grande affection. » Alzire Rocourt ( 1960-1965 ).