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Le Nouvelliste

Tant de digues ont sauté

Nov. 23, 2020, midnight

Face à la recrudescence des cas de kidnapping, la banalisation des crimes de sang, la prolifération de gangs disposant d’armes de guerre, l’abandon du territoire par les pouvoirs publics, la mal gouvernance, la précarité socioéconomique, l’acceptation plus que tacite du « bandit légal », le pire devient un horizon indépassable. Le pire s’impose à nous, presque  comme des évidences tristes et assommantes. Au déni du réel, vaine résistance, il y a cet inventaire implacable, l’addition des digues sautées sous des yeux saisis, parfois blasés, convaincus que notre pâte d’Haïtiens est mauvaise. À s’en convaincre ou pas, les faiseurs font. L’autorité s’exerce dans des contresens dangereux, dans des violations décomplexées de la Constitution et des lois, des symboles et des mythes fondateurs de la patrie. La force  de l’État ne réside plus dans la capacité de ses dirigeants à respecter et faire respecter la Constitution et les lois. C’est le temps, la poursuite de ces temps où l’on prend tout de force, à la Hussarde. Sans complexe, le président Jovenel Moïse, qui avait juré le 7 février 2017 de respecter et de faire respecter la Constitution la viole, la main sur le cœur, affirmant vouloir bien faire. Le CEP qu’il a mis en place, en dehors de tout accord politique, a la mission de réaliser un référendum pour changer la Constitution, ce qu’interdit explicitement  la Constitution. Son CEP, contrairement  aux exigences de la constitution, n’a pas prêté serment. Il l’a installé. Ce n’est pas sur la Constitution mais sur l'extrait de l’acte de l’indépendance que  la commission chargée d’élaborer la nouvelle mouture de la loi mère a prêté serment. L’histoire retiendra que le président Jovenel Moïse n’a pas agi seul. Son gouvernement l’a accompagné. L’ex-président de la Cour de cassation et président provisoire Boniface Alexandre qui avait, en son temps, juré de respecter la Constitution de 1987 l’a accompagné. L’ex-commandant en chef des FAD’H, ex-ministre des Affaires étrangères, en son temps, avait juré de respecter la constitution. Des silences l’ont accompagné. Des dénonciations, loin de faire avalanche, l’ont accompagné. Dans le camp du non, l’histoire retiendra peut-être les positions  du conseil de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, du Dr Georges Michel, ex-constituant de 1987.  Le décret visant a édenté la CSC/CA, le non-respect de l’esprit et de la lettre de la loi de 1994 pour nommer un directeur général à la PNH, participent de ce rapport «  se chèf ki deside, lalwa se papye ». Le décret sur la Cour des comptes a suscité des remous, des indignations, mis en exergue la volonté de cette administration de dessiner, de répartir à sa guise les marchés publics. Le silence des associations patronales est sonore. Ici, on ne semble pas croire dans la transparence, dans la saine compétition, dans l’égalité des chances à l’accès aux commandes et aux marchés publics. On ne croit pas en ses vertus pour dynamiser l’économie nationale, encourager la création d’un écosystème favorable au développement des grandes entreprises, des petites et moyennes.                                               Ces jours-ci, face aux actes de vandalisme de Fantom 509, le Premier ministre Joseph Jouthe a dégainé de gros mots : bandits, vagabonds, terroristes. Mais on  ne se souvient peut-être plus du poids de sa décision en mars de cette année.  Le Premier ministre Joseph Jouthe avait désavoué l’état-major de la PNH, explosé le petit reste d’illusion de cohérence et de continuité de l’action gouvernementale en obtempérant totalement aux injonctions des policiers favorables à la création d’un syndicat et à la réintégration de cinq membres du SPNH révoqués par le DG Normil Rameau sur recommandation de l’IGC  à cause, entre autres, des actes de violence enregistrés à l’inspection générale le 7 février 2020. Sous pression, après une nouvelle journée émaillée de coups de feu, de violences verbales sur des employés de la fonction publique, d’attaques contre des ministères, de destruction partielle de véhicules, de mobiliers de l’État par des policiers de «  Fantom 509 » et d’autres individus encagoulés sur fond de passivité de toutes les unités spécialisées en charge de la sécurité et du maintien d’ordre, le Premier ministre Jouthe a capitulé. La fermeté observée sous Jean Michel Lapin a été abandonnée. L’improvisation, l’une des caractéristiques de la gouvernance sous Jovenel Moïse, a montré ses limites. Une nouvelle fois. Une fois de plus. L’exécutif et l’état-major de la police ont perdu l’épreuve de force après avoir étalé incurie, maladresse et incapacité à prendre toute la mesure du malaise pour y apporter un sédatif à défaut de solutions plus globales et plus durables.           Sur d’autres fronts, il y a d’autres symboles à terre. Ici, on tue des bébés, des femmes enceintes, des écoliers, un bâtonnier, des pasteurs, des prêtres. Ici, un cardinal a échappé de justesse à une tentative de kidnapping. Ici, nous« plat atè », une frange de l’opposition, parfait cadeau pour le président Moïse, s’offre en spectacle. Nous  peinons, à investir ou réinvestir l’autorité morale, nécessaire pour arrêter de creuser, pour sortir du trou, pour contenir le déferlement des mauvaises eaux après l’effondrement de tant de digues!!!   Roberson Alphonse