Le Nouvelliste
La note sur la politique monétaire de la BRH restitue la facture salée du « peyi lòk » à l’économie haïtienne
Jan. 31, 2020, midnight
« Les perspectives pour l’économie haïtienne demeurent mitigées. L’évolution de la situation économique pour les trois prochains mois sera fortement tributaire du climat sociopolitique. Les chocs négatifs enregistrés au pays durant les trimestres précédents laissent encore des impacts sur le cadre macroéconomique », peut-on lire dans cette note fraîchement publiée par la banque centrale, qui dénote la prédominance d’un certain attentisme dans les décisions d’investissement et de production en dépit d’une relative reprise des activités vers la fin du premier trimestre. Sans surprise, la BRH impute aux troubles sociopolitiques survenus aux mois d’octobre et de novembre la responsabilité du fort ralentissement de l’activité économique ayant entraîné une baisse significative des importations et des recettes publiques, tout en occasionnant, par ricochet, une diminution des transactions sur le marché des changes. Avec un total de 639,28 millions de dollars américains, les importations pour le premier trimestre de l’exercice fiscal en cours correspondent à seulement 54% des importations du premier trimestre de l’exercice fiscal précédent et sont en baisse de 23% par rapport au niveau enregistré entre juillet et septembre 2019. Cette baisse des importations, associée au recul de la demande pour les devises, a provoqué, d’après les calculs de la BRH, une baisse de 1,41% du taux de change de référence entre le 30 septembre et le 31 décembre 2019, contre des hausses de 12,61% et de 0,31% respectivement durant les 3e et 4e trimestres de l’exercice fiscal écoulé. Dans le même temps, la faiblesse des recettes, tributaire du dysfonctionnement forcé des services de perception et de la baisse des activités, a creusé les écarts par rapport aux dépenses. Malgré la signature en novembre dernier entre la BRH et le MEF d’un nouveau Pacte de gouvernance économique et financière visant à contenir les dépenses de l’Etat dans la limite des ressources disponibles, le financement monétaire a quand même atteint la somme de 15,8 milliards de gourdes au 31 décembre 2019 contre 5,3 milliards de gourdes au trimestre précédent. Les dépenses publiques ont crû de 37,7% par rapport au trimestre passé pour se chiffrer à 42,7 milliards de gourdes, tandis qu’au 31 décembre 2019, les taxes et impôts collectés par l’Etat haïtien n’ont augmenté que de 4,5% par rapport au trimestre précédent, se chiffrant à 19,6 milliards de gourdes. Les caisses de l’Etat n’étaient pas les seules à être affectées par le « peyi lòk » Pour limiter les charges financières de nombreuses entreprises sévèrement affectées par le « lòk » et les impacts sur la santé du système financier, la BRH a notamment, au cours du mois de novembre dernier, baissé son taux directeur de 7 points de pourcentage. Une enquête d’opinion menée par la BRH auprès de quelques entreprises industrielles de l’aire métropolitaine produisant pour le marché local a désigné la situation politique et le problème d’électricité comme les facteurs responsables, durant les deux trimestres passés, de la baisse de leur production et de leurs ventes. « Parallèlement, pour 65% des entreprises interrogées, cette situation a entraîné la mise en disponibilité de 10 à 25% de leurs effectifs. Il convient également de noter que 35% des entreprises interrogées indiquent avoir subi des dommages matériels durant la période de « peyi lòk ». Néanmoins, contre toute attente, le secteur de l’assemblage a relativement bien résisté aux chocs de ces derniers mois et a pu travailler à environ 95% de ses capacités, avec des emplois directs évalués à 54 205 postes environ en octobre contre 55 282 un mois plus tôt. Conséquemment, poursuit la note, les données disponibles pour les exportations jusqu’au mois de novembre se chiffrent à 176,17 millions de dollars pour les deux premiers mois, soit 88% du niveau observé pour la même période un an plus tôt. S’agissant des transferts privés reçus de l’étranger, ils se chiffrent à 321,08 millions de dollars pour les mois d’octobre et de novembre 2019, en recul de 12,74% par rapport à la même période de l’exercice dernier. Le secteur agricole, grande victime du « lòk » La rareté des produits, notamment ceux du secteur agricole, en proie à des déficits pluviométriques relativement importants, alliée au blocage régulier des routes et à la rupture des circuits d’approvisionnement des principaux marchés, a contribué à une hausse sensible du coût du panier alimentaire moyen, selon la CNSA chiffrant à environ 35% de la population le nombre de personnes ayant besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Sur la base de la tendance observée, la BRH a estimé l’inflation pour le mois de septembre 2019 à 20,1%. Ces mêmes projections tablent sur des pressions à la hausse des prix autour de 20,30% en glissement annuel en octobre et novembre 2019. Interpellés sur la situation de crise à l’IHSI qui empêche cette institution de publier mensuellement son Indice des prix à la consommation (IPC), les responsables de la BRH n’ont pas caché leur préoccupation. En effet, la dernière note de l’inflation publiée par l’IHSI date du mois d’août 2019. Aussi, la banque centrale presse-t-elle le MEF de trouver une issue à cette crise le plus vite possible. « Nous autres à la BRH, nous avions toujours fait des estimations ou des projections du taux d’inflation à partir des modèles économétriques que nous avions mis en place mais il n’en demeure pas moins que l’IHSI est l’institution officiellement en charge de publier ces statistiques », a déclaré Ronald Gabriel, directeur général de la BRH, vendredi dernier lors d’une présentation de la note à des journalistes en présence du gouverneur Jean Baden Dubois ainsi que plusieurs économistes de la banque centrale.