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Le Nouvelliste

Le département d'État américain, notre faiseur de présidents ?  

Dec. 3, 2019, midnight

Jean-Bertrand Aristide est parti en exil le 29 février 2004. Placé sous tutelle onusienne, le pays a organisé des élections générales en 2006 en vue de reconstituer ses institutions que le pouvoir Lavalas avait emportées avec lui dans sa déchéance. Pour ces élections, rapporte le professeur Sauveur Pierre Etienne, René Préval a été la carte maitresse de la communauté internationale d’un sous-secteur du secteur privé des affaires et des bases Lalavas. Les élections de 2006 se déroulaient dans un contexte de grand banditisme dû à l’opération Bagdad lancée par des groupes se réclamant du mouvement Lavalas pour exiger le retour d'Aristide. Pour certains secteurs, René Préval représentait l’unique personnalité politique capable de porter les lavalassiens à déposer les armes sans effusions de sang. « Sur le plan national, des gens du secteur privé des affaires, des ONG, des organisations politiques, populaires et paysannes se rendent à ce moment-là à Marmelade pour lui faire croire qu’il est l’homme de la situation », écrit l’auteur de l’ouvrage « Haïti : le drôle de guerre électorale 1987-2017 ». Après avoir consulté l’ancien président américain Bill Clinton, René Préval s’est lancé dans la course. Pour Sauveur Pierre Etienne, être candidat à la présidence en Haïti est une affaire de grandes personnes et de gros sous. « À ce niveau, l’ancien président René Préval possède de multiples cordes à son arc et tout le monde le sait », précise l’ancien candidat à la présidence. « Le soutien financier du puissant homme d’affaires Réginald Boulos permettra-t-il au professeur Leslie François Manigat d’affronter René Préval dans un hypothétique second tour ? », se demande-t-il. On connaît la réponse. Le 1er tour de la présidentielle se déroule le 7 février 2006. « Comme à l’accoutumée, on relève dès les premières heures du déroulement le niveau des défaillances techniques, des problèmes logistiques, la livraison tardive du matériel électoral dans de nombreux bureaux de vote entraînant des retards considérables, situation aggravée par l’improvisation d’un personnel électoral très peu formé et non expérimenté », souligne Sauveur Pierre Etienne. En dépit de ces difficultés, le taux de participation s’élève à plus de 60%. Une grande satisfaction pour le CEP, la communauté internationale et l’équipe de transition. Les résultats préliminaires du scrutin donnent un score de 48.76% des voix à René Préval, 11.83% à Leslie François Manigat et 7.93% à Charles Henri Baker. Si le candidat du RDNP croit à un second tour entre lui et René Préval, tel n’est pas l’avis des partisans du candidat de Lespwa qui ont mis le pays à feu et à sang pour exiger au CEP de déclarer leur candidat vainqueur dès le 1er tour. Empêtrés, la communauté internationale, le CEP et l’équipe de transition cherchent une solution. Lors d’une rencontre le 15 février 2006 entre les représentants des trois secteurs, Celso Amorim, le ministre brésilien des Affaires étrangères, demande au CEP de comptabiliser les bulletins blancs représentant 10% des voix exprimées et de les répartir au prorata du pourcentage des voix obtenus par les candidats. Ce qui a permis René Préval de remporter l’élection dès le premier tour avec 51.21% des voix. Jude Célestin désigné pour succéder à René Préval Le président René Préval prend les destinées de la nation. Pendant le second quinquennat de René Préval, le pays a connu des catastrophes naturelles majeures : quatre cyclones en 2008, dont trois consécutifs, et un tremblement de terre meurtrier le 12 janvier 2010. Cette catastrophe, qui a comme déboussolé le chef de l’État, a permis l’arrivée d’un nouveau acteur sur l’échiquier politique : la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), co-présidée par l’ancien président américain Bill Clinton et le nouveau Premier ministre haïtien d'alors Jean-Max Bellerive. En dépit du séisme de 2010, Haïti met le cap sur la tenue d’élection présidentielle pour choisir le successeur de René Préval dont le mandat arrivera à terme début 2011. La campagne électorale est ouverte le 27 octobre 2010. Le président René Préval cherche à se faire remplacer par son poulain Jude Célestin. « Soutenu par un puissant secteur financier de la classe d’affaires traditionnelle, bénéficiaire exclusive des faveurs du président de la République, Jude Célestin dispose de moyens énormes pour mener une campagne électorale hors normes », rappelle Sauveur Pierre Etienne. Deux autres candidats se détachent des dizaines d’autres qui veulent briguer le fauteuil présidentiel. Mirlande Hyppolite Manigat bénéficie du support financier d’Éric Jean-Baptiste et autres Syro-Libanais et anciens GNBistes. Michel Joseph Martelly, quant à lui, a l’appui du Département d’État et de la quasi-totalité du Core Group à l’exception du représentant du Secrétaire général de l’OEA en Haïti, Ricardo Seintenfus. Les résultats du 1er tour de l’élection tenue bon gré mal gré le 28 novembre 2010 annoncent un second tour entre Mirlande Hyppolite Manigat et Jude Célestin. « Moins d’une heure après la proclamation des résultats préliminaires, l’ambassade américaine émet un communiqué clamant haut et fort que ces derniers ne reflètent nullement le choix du peuple haïtien », rappelle Sauveur Pierre Etienne. Les partisans de Michel Martelly interprètent ce communiqué comme un appel à l’insurrection. « Ils manifestent leur rage contre la plateforme INITE en érigeant des barricades enflammées dans de nombreuses villes du pays, enfonçant davantage Haïti dans la violence. Divorce entre le président René Préval et les Clinton L’administration Bush suspectait l’ancien président René Préval de sympathie politique pour les régimes socialistes de Cuba et du Venezuela. « La signature de l’accord PetroCaribe, le 15 mai 2006, le lendemain de son investiture, par le président René Préval et le vice-président vénézuelien, José Vicente Rangel, agace Washington dont l’ambassadeur Janet A. Sanderson fera tout son possible pour torpiller ledit accord », explique Sauveur P. Etienne. À la nomination de Hillary Clinton au poste de secrétaire d’État sous le 1er mandat de Barack Obama, le président René Préval devient l’unique interlocuteur de Washington en Haïti. « Entre les Clinton et le président Préval, ce sont des relations d’amitié, mais aussi, et surtout, de pouvoir et d’affaires », fait remarquer le politique. Il signale qu’avec la création de la CIRH suite au séisme du 12 janvier 2010, les Clinton deviennent les maîtres d’Haïti, en ce sens que leurs désirs sont des ordres que le président Préval doit exécuter à la lettre. D’après le professeur Sauveur Pierre Étienne, le refus du président Préval de confier le dossier de construction du centre-ville de Port-au-Prince à la CIRH comme il avait promis à Cheryl D. Mills, cheffe de cabinet de Hillary Clinton, va constituer la vraie cause du divorce des Clinton d'avec René Préval. Pour se venger, « Cheyl D. Mills et les Clinton lancent une campagne de dénigrement systématique contre le président Préval, rapporte Sauveur P. Etienne, dans son dernier ouvrage. Ils parviennent à mobiliser toute la communauté internationale contre Préval et par voie de conséquence contre la plateforme INITE. » Aux yeux de Sauveur Pierre Etienne, l’élection présidentielle de novembre 2010 avait mis aux prises la plateforme INITE de René Préval et le Département d’Etat. Michel Joseph Martelly à tout prix La plupart des organisations nationales de défense des droits humains, dont le RNDDH, s’alignent sur la position de l’ambassade américaine qui dénonce des fraudes massives lors du 1er tour de l’élection présidentielle. L’injonction est faite aux autorités haïtiennes par la communauté internationale de corriger les résultats préliminaires de ces joutes. Comment s’y prendre ? Les autorités haïtiennes et le Core Group se mettent d’accord pour la création d’une mission d’experts de l’OEA pour la vérification de la tabulation des votes. « C’est le gage donné par le président René Préval au Core Group l’autorisant à boucler son mandat de cinq ans », révèle Sauveur Pierre Étienne. La mission de l’OEA se met au travail. Mais ses conclusions et recommandations, souligne Sauveur Pierre Étienne, ne seront acceptées par le Département d’État américain que si et seulement si Jude Célestin est relégué en troisième position au profit de Michel Martelly. Entre-temps, l’épouse du président René Préval, Élisabeth Préval, le Premier ministre Jean-Max Bellerive, ainsi que plusieurs hauts dignitaires du régime et de la plateforme INITE sont avisés qu’à partir de février 2011 que leurs visas américains ne seront plus valides. Les autorités américaines menacent aussi de couper l’aide à Haïti si leur volonté n’est pas respectée. Dans la perspective de la publication des  conclusions et des recommandations de la commission d’experts de l’OEA, Hillary Clinton débarque en Haïti le dimanche 30 janvier 2011. Elle rencontre le président René Préval, les candidats Mirlande Manigat, Michel Martelly et Jude Célestin. « C’est un président René Préval déchu, confus, navré, complètement déboussolé, sidéré et réduit à sa plus simple expression qui revient de la rencontre avec Hillary Clinton, décrit Sauveur Pierre Étienne. Impuissant, il a dû se plier aux injonctions de la secrétaire d’État américaine et accepter d’exécuter ses diktats sans pouvoir opposer la moindre résistance. » Le président René Préval, rapporte Sauveur Pierre Étienne, demande à Gaillot Dorsainvil, le président du CEP, de prendre toutes les mesures en vue d’appliquer à la lettre, dans l’immédiat, les recommandations des experts de la mission de l’OEA qui placent Michel Martelly en deuxième position dans les résultats du 1er tour de l’élection présidentielle de 2010 au détriment de Jude Célestin. Ainsi, la voie est ouverte pour que Michel Martelly devienne le successeur de René Préval.