Le Nouvelliste
Qu’est-ce qu’un artiste?
Jan. 20, 2021, midnight
Le mot « artiste » prend trop souvent une connotation négative. Pour mettre fin à cette façon de faire, précisons qu’un artiste n’est pas celui qui fait le désespoir de ses parents. Il n’est pas celui à qui on ne peut pas faire confiance. Il n’est pas forcément amoral. N’allez surtout pas croire que la vie est plus facile pour les femmes artistes. Plusieurs qui ont fait, qui font encore carrière dans les arts vous diront que leur réputation en a souffert. Alors, qu’est-ce qu’un artiste ? Pour arriver à une définition plus précise, nous allons faire tout un ensemble de considérations. Nous voyons généralement un objet à partir de données acquises qui nous permettent de le distinguer par rapport à un autre. Nous regardons un fruit et nous savons que c’est un fruit. Nous parvenons à l’identifier s’il est propre à une région qui nous est familière. Nous savons que le fruit nous pouvons le consommer. Nous savons cependant que ce fruit n’est pas une chaise dont nous connaissons l’utilisation par la pratique. Dans une première définition, nous dirons que l’artiste est celui qui a la possibilité de voir les objets de manière différente. À titre d’illustration, considérons un tableau d’Éric Girault. On peut dire d’emblée que le titre: « Table Antillaise » attribue à chacun des éléments une valeur identitaire, de modestie mais plus encore il semble être l’indicateur d’un fort sentiment de nostalgie. Les couleurs cachent un dessin parfaitement contrôlé et la vue plongeante donne la vedette au revêtement du sol où l’on voit la répétition de motifs colorés contrastant sur le fond. Ce parquet est perceptible à travers les espaces laissés libres par la table et la chaise. Il est assombri par les ombres laissées par ce mobilier. Le lien entre les deux est ainsi bien établi, ce qui contribue à l’unité de l’œuvre. La différence dans leurs formes, par ailleurs, y apporte de la variété. Cela dit, le mobilier comme les fruits posés sur la table ne sont que des accessoires. Les fruits ne sont plus à croquer, ils ne font qu’apporter des formes à l’ensemble et des notes de couleurs pour faire pendant à celles du parquet. Quant au mobilier, ce sont ses verticales, ses obliques et ses plans (la surface de la table et le siège empaillé de la chaise) qui définissent l’espace représenté dans le tableau. Si nous nous arrêtons à la chaise par exemple, on voit que sa fonction est ainsi passée de celle d’un siège (on ne peut d’ailleurs pas s’y installer puisqu’elle est glissé sous la table) à celle d’un élément de construction de l’œuvre d’art et aussi d’un signe. La chaise est alors devenue un objet subjectif. En vérité, l’ensemble est tout ce qu’il y a de plus quotidien. Ce que nous constatons en regardant cette œuvre, en appréciant le plaisir esthétique qu’elle produit, c’est le point de vue de l’artiste, le produit de sa sensibilité, qui sont venus s’ajouter à la réalité banale de la scène. Le fait de définir l’artiste en se basant sur l’analyse d’une œuvre, est-ce suggérer que c’est l’œuvre qui fait l’artiste? Pour répondre à cette question capitale, il faut insister sur l’union étroite qui existe entre l’acte de création, la personnalité de l’artiste et l’œuvre. À cause de cette symbiose, il est nécessaire d’avoir les mêmes égards pour l’un comme pour l’autre. Et c’est surement parce que nous avons eu dans le passé trop peu de considérations pour les artistes que notre patrimoine artistique est si pauvre. Picasso a dit un jour que « Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant. » Le fait est que les enfants sont effectivement très créatifs parce que, libres de toutes contraintes, ils peuvent laisser aller leur imagination et leur créativité artistique. Mais en grandissant, en devenant plus matures, ils apprennent à contrôler leurs émotions et leurs pensées, et c’est là que l’on observe une inhibition de la créativité artistique. Le mot artiste vient du terme italien du XVe siècle « artista » qui qualifie un homme exerçant un métier difficile. Il est bon de le savoir et, puisque l’on associe la pratique de métiers difficiles à l’idée d’une vocation, on n’aurait pas tort de dire que quelqu’un devient artiste par vocation. Il faut préciser ici que, dans le cadre de ces considérations, nous ne prenons en compte que des plasticiens, c’est-à-dire des personnes qui utilisent comme mode d’expression des techniques et des supports matériels que l’on qualifie de « plastiques » c’est-à-dire qui peuvent, à un certain stade de leur élaboration, subir une déformation permanente et prendre la forme qu'on désire leur donner. Mais le terme plasticien s’applique aussi bien à l’artiste qu’à l’artisan, d’où la nécessité de définir précisément ce qui fait la spécificité de l’un et de l’autre. Comment alors distinguer la dimension artistique de la dimension proprement artisanale d'un objet? Avant de se lancer dans le processus de production, l’artisan a déjà une très bonne idée de l’objet tel qu’il sera une fois terminé. Il en connait la forme, les matériaux à utiliser et met en œuvre des procédés, que l’on pourrait dire être des « recettes », afin d’arriver à un objet réussi qui pourra ainsi être reproduit indéfiniment. On dira ainsi que l’artisan fabrique, c’est- à-dire qu’il produit selon des règles, en appliquant des savoir-faire, des procédés qui permettront efficacement d’arriver à une réalisation parfaite. L’activité artistique n’est pas cependant de la fabrication mais de la création. L’objet d’art est ce qui résulte du travail solitaire d’un artiste. Gérald Alexis