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Le Nouvelliste

La réforme des régimes matrimoniaux par le décret du 9 avril 2020

June 1, 2020, midnight

Le droit, s’il s’efforce d’établir des normes stables nécessaires à la sécurité juridique, doit malgré tout s’efforcer d’épouser les évolutions sociales de la communauté qu’elle prétend régir. À l’heure actuelle, grâce à l’évolution des mœurs, les rapports à l’intérieur des couples mariés ont connu de notables avancées qui s’expriment par des relations personnelles égalitaires et par l’autonomie croissante tant financière que professionnelle des femmes. Les époux exercent dans beaucoup de cas des professions séparées ou exercent la même profession de manière séparée. En regard de ces progrès, la stabilité des règles juridiques applicables aux rapports conjugaux confinent à l’anachronisme. Il est vrai que sur le plan des rapports personnels, le Décret du 8 octobre 1982 avait révolutionné le droit du mariage en rendant sa pleine capacité juridique à la femme mariée et que sur le plan pénal le Décret du 6 juillet 2005 avait fait disparaître les discriminations qui frappaient l’épouse, mais le droit des régimes matrimoniaux avait jusqu’à présent été ignoré des efforts intermittents de modernisation de notre droit. Et pourtant l’égalité et l’autonomie se mesurent réellement dans la maîtrise que l’on a des fruits de son labeur. Force était de constater que les dispositions du code civil sur les régimes matrimoniaux freinaient cette égalité et limitaient cette autonomie. Et l'on se rend compte incidemment du lien existant entre la législation sur les régimes matrimoniaux et l’incitation à l’investissement. Il fallait donc réformer le droit des régimes matrimoniaux pour satisfaire à la double exigence de consolider l’égalité des époux dans le mariage et de favoriser l’essor des personnes mariées en tant qu’agents économiques et professionnels, tout en instillant, malgré les rigueurs du droit, le baume de l’équité. C’est ce que réalise le Décret du 9 avril 2020 Réformant les Régimes Matrimoniaux (Le Moniteur, no. spécial 6, 13 mai 2020) dont le texte avait été initialement présenté au parlement sous forme de projet de loi. LA LIBERTÉ DES CONVENTIONS MATRIMONIALES Le nouveau droit des régimes matrimoniaux n’entame pas le principe de la liberté des conventions matrimoniales, les époux demeurant libres d’organiser comme ils l’entendent le sort des biens qu’ils possèdent lors de la célébration du mariage ou qu’ils acquièrent durant celui-ci. Toutefois, des dispositions d’ordre public limitent cette liberté en interdisant toute dérogation aux principes consacrant l’égalité des époux tant dans la direction du foyer que dans leurs droits et obligations à l’égard de leurs enfants. LA RÉFORME DE LA COMMUNAUTÉ LÉGALE La législation antérieure sur les régimes matrimoniaux reflétait une philosophie en déphasage avec les nouvelles réalités socio-économiques. Le régime de la communauté légale des meubles et acquêts considérait comme biens communs tous les actifs acquis durant le mariage ainsi que les obligations contractuelles, délictuelles ou quasi-délictuelles nées durant l’union conjugale. Il en résultait que les biens servant à l’exercice de la profession tombaient dans la communauté et qu’à la dissolution de celle-ci, l’époux professionnel fût éventuellement obligé de liquider ces actifs, autrement dit de s’en défaire, pour que le partage de la communauté puisse s’effectuer. Corrélativement, le passif qui résultait de l’activité professionnelle risquait d’affecter négativement la communauté et par voie de conséquence les biens professionnels de l’autre époux. Ces dispositions constituaient donc un frein à l’investissement, un époux hésitant à contracter des engagements importants qui, en cas de coup dur, auraient mis en péril les biens de la communauté et les actifs professionnels de son conjoint. Il était donc nécessaire, pour éviter ces risques, d’opérer une réforme de la communauté légale, c’est-à-dire, du régime matrimonial applicable de plein droit lorsque les époux ne concluent pas un contrat de mariage, ce qui est le plus souvent le cas. La nouvelle législation désormais en vigueur fait aujourd’hui de la communauté réduite aux acquêts, le régime de communauté légale. Grâce à ce régime demeurent propres les biens meubles et immeubles possédés avant le mariage ou acquis durant le mariage par voie de succession ou de libéralités. Demeurent également propres les biens servant à l’activité professionnelle sauf récompense à la communauté si elle a servi à leur acquisition. Demeure également propre le passif résultant de cette activité professionnelle, protégeant de la sorte l’activité professionnelle du conjoint. LA FIN DE L’IMMUTABILITÉ DES CONVENTIONS MATRIMONIALES Les mutations professionnelles et économiques affectant la vie de couples souvent mariés jeunes ne peuvent aller de pair avec le principe jusqu’ici proclamé de l’immutabilité des conventions matrimoniales. Il peut être nécessaire d’aménager le régime matrimonial convenu ou applicable de plein droit lors de la célébration du mariage de façon à l’adapter aux nouvelles responsabilités des époux. D’où la possibilité désormais offerte aux époux de modifier ou de changer radicalement de régime matrimonial lorsqu’ils exercent des professions séparées ou exercent la même profession de manière séparée (p. ex. un couple de médecins pratiquant dans des cliniques différentes). Toutefois, le risque existant pour que des époux de mauvaise foi ne profitent de cette possibilité pour organiser frauduleusement leur insolvabilité au détriment de leurs créanciers, le changement de régime n’est permis qu’une fois au cours du mariage. De plus, le projet de modifier et la modification elle-même doivent faire l’objet de mesures de publicités permettant aux créanciers ou aux héritiers présomptifs de s’y opposer éventuellement pour la préservation de leurs droits. Il convenait d’étendre la possibilité de modification ou de changement de régime matrimonial aux époux mariés antérieurement à la publication du décret. Les dispositions transitoires leur en offrent la faculté pendant un délai de deux ans à partir du jour de la publication de la présente loi. LA CONSÉCRATION DE L’ÉGALITÉ DES ÉPOUX En dépit des dispositions émancipatrices du Décret du 8 octobre 1982 réformant le statut de la femme mariée, le droit des régimes matrimoniaux continuaient de receler des dispositions discriminatoires faisant l’objet dans la pratique d’interprétations divergentes (renonciation à la communauté, biens réservés de l’épouse). Dans les différents régimes communautaires ou séparatistes la femme était toujours considérée comme inégale à son mari.  Par ailleurs, certaines dispositions du régime antérieur ne correspondaient plus au fait que depuis plus de trente-sept ans, grâce au Décret du 8 octobre 1982,  la femme administre conjointement  et également la communauté avec son mari. Ainsi, pour satisfaire au souci de cohérence du droit, sont abrogées, les dispositions qui ne sont plus justifiées, instituant d’une part l’hypothèque légale de la femme sur les biens de son mari lequel, depuis 1982, a perdu le pouvoir d’administration des biens propres de son épouse, et permettant, d’autre part, à celle-ci de renoncer à la communauté. Il demeure entendu implicitement que, par application du droit transitoire interne, les actes d’administration du mari sur les biens propres de sa femme accomplis avant la promulgation du Décret du 8 octobre 1982 demeurent garantis par l’hypothèque légale, et qu’une administration hasardeuse ou négligente de la communauté par le mari autorise la femme à renoncer à cette communauté pour la période en question. L’institution des biens réservés permettant à la femme mariée de soustraire une fraction de son salaire à la masse des biens communs et conséquemment à l’administration exclusive du mari, ne se justifie plus quand l’épouse administre la communauté au même titre que son mari. Le présent projet de loi abroge donc purement et simplement la notion de biens réservés. Il est tiré profit de la nouvelle législation pour éliminer des dispositions intéressant les diverses modalités de régime matrimonial toutes les discriminations affectant la femme mariée. LA SANCTUARISATION DU DOMICILE CONJUGAL Le domicile conjugal, nécessaire à l’exécution de l’obligation légale de vie commune à laquelle se soumettent les époux, n’était jusque-là pas protégé en droit haïtien. Cette notion n’existait pas.  Il était nécessaire, pour les raisons qui seront développées ci-après, que toute réforme des rapports matrimoniaux appréhende cette nécessité, pour protéger les époux et éviter les injustices, lorsque le mariage est dissout par le décès de l’un d’entre eux. Lorsque les époux sont locataires d’un immeuble pour l’établissement de leur domicile conjugal et qu’un seul d’entre eux a signé le bail, il n’est pas toujours facile de répondre à la question de savoir, en cas de décès du signataire du bail, si le conjoint survivant jouit d’un droit au bail. Dans le cadre d’un régime communautaire on pourrait à la limite arguer d’un  mandat tacite accordé au signataire, faisant du non signataire une partie au contrat de bail. Mais dans un régime de séparation de biens, il demeure plus malaisé de justifier légalement la permanence du conjoint survivant dans les lieux loués par son conjoint prédécédé. D’où la nécessité de faire preuve, dans le décret, d’une mesure de justice sociale en instaurant, quel que soit le régime matrimonial, un droit au bail au profit du conjoint survivant, à condition par celui-ci de continuer à assumer les charges de la convention. La situation du conjoint survivant se révèle plus précaire lorsque l’immeuble logeant le domicile conjugal fait partie de la communauté ou a appartenu en propre à l’époux décédé et qu’il fait l’objet des prétentions successorales des héritiers du défunt. Le survivant n’aura peut-être pas les moyens de se procurer un nouveau logement, ni les moyens de désintéresser financièrement les demandeurs au partage. Il ne reste plus alors que la vente aux enchères, qui constitue une blessure affective, car le conjoint survivant se retrouve arraché de ce qui a constitué son lieu de vie. En résumé, à la douleur du veuvage s’ajoutent les affres du déclassement. Par ailleurs, si on doit saluer l’élargissement des droits successoraux à tous les types de filiation, ce qui est un acquis devant demeurer irréversible (Loi du 12 avril 2012 Réformant la Filiation, Le Moniteur, no 105, 4 juin 2014), le législateur ne pouvait permettre la création d’une nouvelle injustice dans le but d’effacer une ancienne. D’où l’introduction dans le droit haïtien d’un mécanisme qui a fait ses preuves dans d’autres pays : l’usufruit légal du conjoint survivant sur l’immeuble commun ou propre au conjoint prédécédé, ayant abrité le domicile conjugal. L’usufruit est donc automatique, par le fait même du mariage, quel que soit le régime matrimonial adopté par les époux. Il n’efface pas les prétentions successorales des héritiers, il ne fait que retarder leur satisfaction, les héritiers étant appelés au partage après le décès, le remariage ou le concubinage de l’époux usufruitier. Le décret réformant les régimes matrimoniaux accorde le droit haïtien avec son temps, protège l’activité professionnelle de chaque époux, permet l’adaptation du régime matrimonial à l’évolution socio-professionnelle des époux,   achève le chemin de l’égalité des époux dans le mariage et fait œuvre d’équité par la protection du domicile conjugal.