Le Nouvelliste
Faire face au Covid-19 en Haïti : ce que pense le Dr Junot Félix
April 13, 2020, midnight
« Il y a beaucoup de controverse autour de la situation en Haïti. La population est à l'écoute des informations, mais elle est très sceptique à l'égard de ce qui se dit. Il y a un couvre-feu qui est plus ou moins respecté à partir de 8 heures du soir. Malheureusement, la réalité n'a pas beaucoup évolué dans la journée à un point que certains se demandent si la transmission du virus se fait uniquement le soir. Il est très difficile de maîtriser la situation aujourd'hui », constate le Dr Junot Félix. Le spécialiste en santé publique souligne qu'il est très difficile pour lui d'analyser l'évolution de la pandémie en Haïti compte tenu de l'absence de certains éléments dans les rapports du ministère de la Santé publique et de la Population. « On a eu assez de temps pour préparer une réponse plus scientifique » La maladie commence au mois de décembre, le SRAS-COV-2 a été identifié en janvier, donc comme beaucoup de pays, Haïti a raté l'occasion de se préparer à faire face au Covid-19. « On a eu assez de temps pour préparer une réponse plus scientifique », avance le Dr Junot Félix comme pour remettre les pendules à l'heure par rapport au manque à gagner auquel le pays est confronté dans la mise en place d'une stratégie de communication. « Un virus est un micro-organisme, on ne peut pas le voir », a fait remarquer le Dr Junot Félix. Ce n'est certainement pas en quelques mois qu'on allait résoudre les problèmes de nos ports et de nos frontières pour empêcher la propagation du virus. Voilà pourquoi d'entrée de jeu il ne fallait pas mettre toute notre énergie à essayer de contrôler un micro-organisme invisible quand on n'a jamais su contrôler les hommes et les femmes qui traversent nos frontières. Pour ceux qui s'attendent à un acte salvateur pour sauver le plus de vies possible, le Dr Félix croit qu'il faut partir à point afin d'identifier les faiblesses et savoir ce qui peut être fait du train que ça va aujourd'hui. Concernant les mesures déjà prises Il y a quatre éléments qu'il faut analyser afin d'évaluer l'opportunité de chaque décision et la façon dont on peut mettre en place un système de prévention suivant la réalité du pays. «Il y a le couvre-feu, le confinement, le testing et la prise en charge des cas par le ministère de la Santé publique et de la Population», énumère l'animateur de l'émission Dossier Santé. Le couvre-feu a pris du temps pour obtenir des effets, parce qu'il fallait l'établir graduellement en essayant de corriger les défaillances et donner le plus d'explications possible. «On entretient un rapport très difficile avec les microbes en Haïti. Les Haïtiens, même parmi les plus instruits, croient qu'ils sont invulnérables quand il s'agit de maladie microbienne», a relaté le Dr Junot Félix. D'aucuns pensent que c'est par méchanceté que les Haïtiens remettent tout en question concernant le virus. Il y a un processus de rupture qui a été mis en place entre la population et les dirigeants. La population pense que les dirigeants cherchent à profiter de n'importe quelle situation. Qu'à cela ne tienne, beaucoup de promesses faites par ce gouvernement n'ont pas été tenues. «Il fallait d'emblée laisser occuper le devant de la scène par de nouveaux visages scientifiques et crédibles pour l'annonce des premiers cas et des mesures à prendre. Après, il est toujours difficile de corriger», a analysé le Dr Félix. Il faut absolument travailler sur les éléments de langage ainsi que sur la manière d'annoncer les mesures préventives. «Quand vous dites à une personne de rester chez elle systématiquement, ce n'est pas étonnant que vous tombiez sur un refus systématique, parce que la majorité de la population ne comprend pas le confinement». Depuis, certains ont compris qu'il faut améliorer le langage utilisé, ils commencent par dire : «Ne sortez pas si ce n'est pas essentiel.» C'est mieux. Selon le Dr Junot Félix, il faut expliquer le pourquoi de chaque stratégie avant de les annoncer en prenant en compte le contexte socio-économique. «Quand vous annoncez ces choses, on ne va pas vous comprendre et c'est inutile de rejeter la faute sur la population. Restez chez vous ! C'est bien, mais comment la personne va-t-elle se nourrir ? Elle va commander des plats comme on fait à Paris ou à Montréal? Si vous ne comprenez pas la situation de la personne, ne lui demandez pas de comprendre votre message.» C'est de bonne guerre de faire les tests de manière ciblée puisque l'État ne dispose pas de beaucoup de tests, a affirme le spécialiste. Cependant, si l'on fait le choix du confinement, il faut indubitablement tester plus de personnes. On ne va pas porter des masques indéfiniment, il faut tester plus de personnes parce que c'est le seul moyen d'identifier les gens, d'arrêter la chaîne de transmission et d'organiser le déconfinement comme cela se fait dans beaucoup de pays. Toujours parmi les quatres mesures, le professeur à l'Université d'État d'Haïti propose de redéfinir la stratégie de prise en charge. Quelles stratégies de communication pour faire face au Covid-19 ? La stratégie qui consiste à forcer la population à respecter les consignes en présentant la maladie comme une fatalité ne va pas donner de bons résultats. «La parole scientifique doit refléter les connaissances scientifiques. Jusqu'à présent le taux de létalité n'est pas trop élevé, beaucoup de patients guérissent et beaucoup sont asymptomatiques. Des spécialistes peuvent expliquer la réalité sans faire peur à la population», a confié celui qui a fait ses études de maîtrise à l'université de Montréal. Quand un ministre annonce, sans une étude prospective basée sur la réalité actuelle, qu'il y aura en mai prochain 1 000 à 1 500 morts par jour, c'est une erreur. Dans le cas du Covid-19, il vaut mieux faire comprendre à la population que si nous nous mettons ensemble, nous allons vaincre le virus et minimiser son impact sur le pays. L'État doit prendre le leadership de la communication. Il faut éviter les confusions Personne n'a la science infuse dans ce sujet. Cependant, il faut une connaissance médicale pour parler de l'aspect médical de la pandémie. Tout le monde parle et parfois la confusion règne entre l'explication réelle et ce que certaines personnes peuvent comprendre à partir d'un article lu quelque part. La transmission du nouveau coronavirus peut-elle se faire à partir de l'air que nous respirons ? Doit-on utiliser la Chloroquine avec autant de facilité comme on le fait en France et Aux États-Unis ? Comment adresser résoudre le problème de l'automédication ? Voilà autant de questions auxquelles le Dr Junot Félix pense que les autorités sanitaires devraient répondre. Une pensée spéciale pour le système de soins Il est inacceptable que le système de soins soit autant négligé dans la gestion de la crise du Covid-19 en Haïti. Les institutions privées commencent à fermer leurs portes, les professionnels de santé abandonnent les postes, il n y a pas assez de lits de soins intensifs, il n y a pas d'équipements, la situation est catastrophique, s'est désolé le Dr Félix. Ce n'est pas le moment de blâmer les professionnels de santé et les responsables des hôpitaux privés, ils ont compris qu'ils n'ont jamais été la priorité de l'État, des efforts qui pouvaient être faits n'ont pas été faits. Comment demander à ceux qui ont été négligés de venir s'offrir en holocauste ? Il faut regarder en face les occasions ratées, d'avoir un discours et de repartir sur de nouvelles bases. Des mesures à prendre Si l'on veut battre le virus, il faut arriver à cerner les foyers de contamination et les lieux qui représentent nos points faibles comme les marchés publics, a suggéré le Dr Junot Félix. Il faut une stratégie bien réfléchie, croit-il, pour résoudre le problème des transports en commun. À ce niveau, il faut d'une part prendre des mesures drastiques si c'est nécessaire et, d'autre part, profiter de cette pandémie pour moderniser les transports en commun et les marchés publics, a conclu le Dr Junot Félix.