Le Nouvelliste
La cour d’appel de Port-au-Prince handicapée depuis 16 mois
Nov. 24, 2020, midnight
Marqué par l’insécurité, le Bicentenaire, où est logé le palais de justice de la ville peu après le 12 janvier 2010, est délaissé par les institutions publiques et privées qui fonctionnaient dans la zone. Seuls le parquet de Port-au-Prince et le tribunal de première instance qui ont repris timidement leurs activités y demeurent. La juridiction des référés fonctionne, les audiences correctionnelles sont reprises et certaines chambres commencent un tant soit peu à entendre des affaires. Les audiences criminelles avec assistance de jury ne sont pas organisées depuis trois ans dans la juridiction du tribunal de première instance de Port-au-Prince. Les cas de détention préventive prolongée ont donc augmenté, l’État ne respecte plus le droit des prévenus à être jugés dans un délai prévu par la loi. Quid de la cour d’appel de Port-au-Prince ? Depuis plus de 16 mois, tout est au point mort à la cour d’appel de Port-au-Prince. Les affaires urgentes, pénales, civiles, commerciales ou de loyers ne sont pas entendues. Aucune audience n’est tenue. Quand la cour ne siège pas, les vraies victimes sont les prévenus. Si l'on arrête quelqu’un qui a été déféré au parquet, le dossier est transmis au cabinet d’instruction. Après examen, le juge rend som ordonnance de renvoi. Voilà que l’une des parties veut interjeter appel. Puisque cette cour ne fonctionne pas, quelle que soit la partie en cause, les droits de celle-ci sont violés. Pourquoi ? Parce qu’elles ont le droit d’interjeter appel. Il revient alors aux autorités compétentes, notamment judiciaires, de s’entendre afin de résoudre ce problème. Que remarque-t-on ? Cette cour est logée dans deux endroits : un à Pacot, un autre au Bicentenaire. Celui qui se trouve au boulevard Harry Truman est gérée par le commissaire du gouvernement, Me Claude Jean, ayant à sa charge des substituts, des greffiers, des huissiers et le personnel du bureau. Tous dépendant du ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Me Rockfeller Vincent. Tandis qu’à Pacot, il n’y a que des juges. Cette division est survenue au moment où le désordre éclatait un peu partout dans le pays. On a connu des moments difficiles. Notamment les épisodes de « peyi lòk». Au Bicentenaire particulièrement, on a enregistré des moments de turbulence : des tirs d'armes automatiques troublaient la paix des juges, avocats, prévenus, accusés, greffiers, huissiers, justiciables et des membres du personnel travaillant au palais de justice. La situation était tellement intense que le bâtonnier assassiné, Me Monferrier Dorval, avait demandé aux autorités gouvernementales de délocaliser le tribunal de première instance de Port-au-Prince afin de permettre à tout le monde de le fréquenter à tête reposée. On connaît la suite : Me Dorval a été assassiné le 28 août 2020 à 10h 13 minutes et à 10h 15 minutes, la nouvelle a été rendue publique. Conflit CSPJ / exécutif Contacté par le journal sur le dysfonctionnement de la cour d’appel de Port-au-Prince, Me Samuel Madistin a déclaré au journal que la cour d’appel de Port-au-Prince est victime d’un conflit stupide entre le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) et l’exécutif. Les juges de cette cour, fait remarquer l’homme de loi, décident de ne plus prendre siège dans les locaux du palais de justice au Bicentenaire en raison du climat d’insécurité délétère qui prévaut. Ils ont demandé à l’État de leur trouver un autre local dans un lieu plus sûr pour travailler. Les magistrats sont soutenus dans leur démarche par la majorité des avocats du barreau de Port-au-Prince, vu que le Bicentenaire est pratiquement devenu une zone de non-droit. L’exécutif refuse, de son côté, de déplacer le tribunal au motif qu’il ne peut pas abandonner le Bicentenaire aux bandits. Devant la pertinence de la revendication des magistrats, le CSPJ a décidé de louer un immeuble à Pacot pour loger la cour. Une cérémonie d’inauguration dudit local a même eu lieu. Mais le MJSP interdit aux parquetiers et aux greffiers de fréquenter le nouveau local. Il leur a intimé l’ordre de rester à leur bureau au Bicentenaire de 8h a.m. à 4h p.m. D’où la paralysie des activités de la cour. Les appels des affaires entendues par les tribunaux civils de Croix-des-Bouquets, de Port-au-Prince, de Petit-Goâve et de Jacmel sont donc bloqués par ce conflit qui n’a fait que trop durer. Le service public de la justice ne doit pas être discontinué par la désinvolture de ceux-là même qui sont chargés de le rendre effectif, déplore Me Madistin.