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Le Nouvelliste

Sébastien Jean a chevauché les étoiles

Nov. 24, 2020, midnight

Sébastien Jean nous a quittés. La nouvelle est aussi absurde que les circonstances du décès. Il a fait une chute dans l’escalier de chez lui, il s’est cogné très fort la tête, il est mort sur le coup. Les amis qui se sont empressés d’aller sur place à Soisson la montagne après l’accident, sur le moment, n’avaient pas de mots. Les instants d’avant semblaient tellement solides. Sébastien rieur, extravagant, chargé de projets, dont un voyage en France différé depuis plus d’un an pour aller voir ses deux garçons, participer à des expositions, y essayer de vivre encore une fois, même en sachant que sa créativité était intimement liée à sa vie en Haïti, à ces errements, ces rencontres avec des amis, ces disputes homériques qu’il pouvait avoir avec eux, ces fâcheries, ces inévitables réconciliations.  Nous l’aimions. D’un amour tourmenté, fait de hauts et de bas, dans une confusion faite d’admiration et d’une forme de désespoir face à cet être dominé par un talent qui sortait à gros bouillons, grandes giclées, enrobant à la fois ce qui est vivant et inanimé pour les transformer en substrats immortels. Sublime saltimbanque, artiste accompli, Sébastien Jean avait une capacité incroyable de se renouveler, de n’être jamais le même en gardant des lignes qui permettaient de le reconnaitre entre tous. Il était gargantuesque, infini, capable de prises de risques qui le confirmaient incessamment comme grand créateur.  Être artiste c’est être habité par des démons qui ont autant d’énergie que vous et qui vous suivent partout, que vous aimez et combattez. Les aimer parce qu’ils portent ce souffle transformable indéfiniment, les combattre parce qu’ils sont anthropophages, qu’ils en veulent au corps, à l’esprit, qu’ils sont insatiables et qu’il n’est pas simple de faire l’équilibre. Produire et produire encore, c’est nourrir ces âmes doucement perverses, les transformer, en faire cadeau autour de soi pour qu’elles deviennent gardiennes des nuits tourmentées des autres, pour assouvir les besoins de vivre, mettre du baume sur la banalité, la morosité, tellement dévoratrices.  Sébastien savait y faire. Quand ses amis craignaient qu’il ne tombe, il repartait plus fort dans ses quêtes, avec de gros éclats de rire, la tête pleine d’idées. Sébastien Jean était dans une boulimie de production, ses vêtements constamment maculés de taches de peinture n’étaient aucunement de la posture,  encore moins de la coquetterie, c’était un artiste au travail, presque dans une forme d’autisme et il était à chaque fois contrarié quand son corps le lâchait, se rebellant contre des privations dues à de trop longues journées de travail, des allers et venues à moto dans cette capitale peu clémente. Sébastien Jean a construit une éternité ces quinze dernières années. Cet artiste hors normes nous a guidés sur des chemins embrouillés, nous a mis en face de douleurs que nous ne voyions pas toujours, de bonheurs qui nous échappaient souvent.  Nous avions levé la tête le temps de regarder ses toiles, ses lampes, d’écouter son discours qui était beaucoup plus de l’ordre du murmure, tout en hésitation, ses mains maitrisaient mieux que lui l’art de communiquer,  pour nous rendre compte, encore une fois et d’autres fois encore, de cette esthétique maitrisée, mille fois redéfinie et le temps pour nous de la baisser, Sébastien avait chevauché les étoiles, comme pour nous inviter à garder les yeux levés. Après tout,  ce sera toujours le plus beau des hommages pour ce talent pur, cet artiste sans concession. Emmelie Prophète